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Crise de l'Union Européenne

 

Ainsi, deux pays, la France et les Pays-bas ont rejeté le traité établissant une constitution pour l’Europe. Treize l’ont ratifié. Plusieurs ont suspendu le processus de ratification. Tout semblait suspendu à la réunion du Conseil européen qui a eu lieu les 16 et 17 juin 2005. Mais loin de régler les problèmes le Conseil a donné l’image d’une Union européenne en crise. Quant au traité constitutionnel, il est maintenu « sous perfusion » comme l’ont écrit certains observateurs sans que l’on sache visiblement quoi en faire.
 

Quelle interprétation du non français ?
 

Le non souverainiste et nationaliste postule une Union réduite à des mécanismes de coopération interétatique entre nations pleinement souveraines. Il s’agit d’une conception « minimaliste » qui exprime la résurgence d’idées nationalistes s’appuyant sur la tentation d’un repli identitaire, et donc tout à fait opposée à un quelconque progrès vers une Union politique, particulièrement sous une forme fédérale. L’Union telle qu’elle existe aujourd’hui n’est pas non plus à l’abri des foudres des souverainistes qui la jugent trop supranationale. La tentation est grande de surfer sur le mécontentement d’une partie de l’opinion pour tenter de démanteler la construction communautaire , au besoin en se parant d’une étiquette pro européenne pour faire bonne mesure, en faisant valoir que le vote non est également un désaveu des traités européens actuels dont la partie III du traité constitutionnel reprend les dispositions. Conclusion logique : il faut tout refaire, donc tout défaire pour ensuite reconstruire une Europe communautaire conforme aux voeux des idéologues souverainistes, c’est- à - dire une Europe réduite à la portion congrue.


Même volonté de remise à plat, pour des raisons différentes, de la part des partisans du « non de gauche ». Eux demandent « plus d’Europe », du moins plus d’Europe sociale, plus de démocratie, pour mettre non plus l’économie mais les peuples au centre du projet européen. Si l’on fait abstraction du flou qui entoure les moyens pour parvenir à cet objectif et de la difficulté à marier la carpe trotskyste au lapin fédéraliste, il reste encore que le rejet du traité constitutionnel ne permet pas de progresser dans cette voie mais a ouvert un boulevard aux partisans de l’Union zone de libre échange.

 

Y a-t-il une crise « salutaire » ?
 

Il a suffi que dans deux pays , le vote non s’impose pour que tout le processus de ratifications se grippe. Parce qu’il s’agit de deux pays fondateurs de la construction communautaire dans lesquels jusque là l’euroscepticisme n’était pas de mise et parce que l’application du traité constitutionnel requiert un vote positif dans tous les pays, même si la possibilité d’échec dans cinq pays a été prévue (1). Malgré les dix ratifications déjà intervenues, les votes non néerlandais et français ont eu l’effet d’un coup de semonce conduisant de nombreux états à suspendre le processus de ratification.

L’Europe communautaire a traversé déjà des crises importantes . Mais celle-ci est très grave, car elle questionne le projet européen et on voit bien qu’il n’y a pas de consensus là dessus. L’intégration européenne ne peut plus rester le pré carré des gouvernants et de quelques experts, faute de quoi , elle se coupera irrémédiablement des peuples.

Dans un scenario optimiste , les non néerlandais et français pourraient être l’occasion d’une réflexion féconde sur l’avenir de l’Union européenne à laquelle les peuples seraient enfin associés..

Mais, et c’est la version pessimiste, on peut aussi parfaitement imaginer qu’une alliance de circonstance entre les tenants du grand marché et les souverainistes adversaires de l’intégration européenne se mette en place pour figer l’Union dans une atonie délétère.


 

Est-il impossible d’en rester au statu quo ?
 

Impossible, non, difficile certainement dans la mesure où les règles relatives à la prise de décision résultant du traité de Nice comportent un risque de blocage dans une Union européenne à 25 et bientôt 27 membres.

De même il serait difficile à l’Union de fonctionner sur la base d’un budget « a minima ». Or, le Sommet européen de Bruxelles des 16 et 17 juin a échoué à parvenir à un accord sur les perspectives financières pour 2007-2013 alors que le cadre financier actuellement en vigueur se termine fin 2006 . Théoriquement, des solutions existent en cas de désaccord persistant. La première hypothèse est la prorogation du cadre actuel : les plafonds pour 2006 seraient ajustés en appliquant à ces montants le taux d'augmentation moyen constaté sur la période précédente, hors les adaptations consécutives à un élargissement de l'Union. La seconde est le retour aux dispositions budgétaires du traité de la Communauté européenne qui prévoit notamment, en cas d'impossibilité de parvenir à un budget, l’application d’un budget provisoire mensuel (les "douzièmes provisoires") (article 272 du traité) .

Mais, ainsi que l’a remarqué le Parlement européen , « l'absence de perspectives financières aura un prix » qui serait la « quasi impossibilité » de mettre en oeuvre les divers programmes communautaires pluri annuels (éducation, formation, développement régional,…) (2). Pour sa part, la Commission européenne souligne qu'il lui faut de douze à dix-huit mois pour préparer et faire voter les règlements d’application du budget, comme ceux des fonds structurels destinés à aider le développement des régions défavorisées. Tout retard dans l’adoption des perspectives financières retarde d’autant la mise en place des programmes d’application. C’est la réussite de l’élargissement qui serait compromise faute de moyens pour permettre aux nouveaux membres de rattraper leur retard de développement. Les tensions entre les populations risqueraient alors de s’exacerber si des délocalisations d’emplois avaient lieu afin de tirer parti de législations sociales et fiscales moins contraignantes.


 

Y a-t-il encore un avenir pour le traité constitutionnel ?
 

Dans une déclaration du 18/06/2005, les Chefs d’état et de gouvernement de l’Union européenne ont appelé à une pause pour réfléchir et débattre sur le traité dans les pays, tout en affirmant la nécessité de poursuivre le processus de ratification quitte à en adapter le calendrier initialement fixé.

La réunion d’une Assemblée constituante européenne , appelée de leurs vœux par certains partisans du « non de gauche » en France ne semble pas vraiment à l’ordre du jour. Il est vrai que cette demande est peu relayée pour le moment, c‘est le moins que l’on puisse dire. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Existe-t-il un « peuple européen » ? Y a-t-il un projet d’état européen ? Or ce sont les deux préalables à la mise en place d’une vraie constitution européenne (et non d’un traité).

Dès lors, faute de voir à l’œuvre cette union transfrontières des peuples qui nous avait été prédite, deux scenarios sont possibles:
-L’enterrement du projet et avec lui, celui de l’Europe politique. La progression de l’intégration européenne est brisée. Il reste le marché intérieur, avec un risque de renationalisation, au moins partielle de certaines politiques communes (comme la PAC) et d’abandon de la solidarité communautaire.
- La proposition d’un nouveau texte, débarrassé de ses parties les plus contestées (notamment la partie III qui reste en application dans le cadre des traités actuels). Sont maintenues en revanche les parties I et II et les dispositions institutionnelles nouvelles (comme la création du Ministre des affaires étrangères ou la nouvelle présidence du Conseil).


 

Quel projet européen ?
 

La crise ouverte ou aggravée par le rejet du traité constitutionnel dans deux pays fondateurs devrait être une occasion de se poser la question du contenu du projet européen.

En prenant la présidence de l’Union, Tony Blair a exprimé la volonté de trouver un accord sur le budget de l’Union. Mais il a également affirmé fortement que la question fondamentale était de celle de l’avenir de l’Union et notamment du modèle social qui fera l’objet d’un sommet européen à l’automne .

Si l’on en reste au grand marché, point n’est besoin d’un système institutionnel contraignant. Des mécanismes intergouvernementaux doivent prévaloir.

Si l’on veut une Europe politique il faut au contraire renforcer les institutions et approfondir les mécanismes non seulement de coopération et mais aussi d’intégration : politiques communes sur le modèle de la PAC, par exemple, harmonisation des législations sociales et fiscales, politique économique et monétaire… Cela aurait du être fait avant l’élargissement et non après. Et quelle Europe doit-on construire : une Europe fédérale centralisée (ce que refusent les anglais notamment) ou une Europe qui fait sa place aux nations en intervenant sur la base de la subsidiarité sous le contrôle des parlements nationaux (idée de la fédération d’états nations développée par les français) ?

Il faudra tenir compte de ce qui fait la richesse et la difficulté de la construction européenne à savoir l’existence de nations aux identités fortes, aux intérêts convergents mais aussi antagonistes, et de l’irruption d’un acteur jusque là ignoré : les peuples européens. Il faudra également savoir comment l’Union européenne s’arrange de la mondialisation : doit-elle la combattre (mais comment ?), doit-elle offrir un modèle alternatif fondé sur la régulation afin d’en maîtriser les effets ou bien doit-elle se borner à être l’instrument d’une adaptation des pays aux règles (ou absence de règles) du marché mondial ?

En conclusion, beaucoup, sinon tout, reste à faire !

 

28/06/2005



 



1 - Déclaration n°30 annexée au traité établissant une Constitution pour l’Europe

2 - Parlement européen, Le point de la Session : 06-06-2005 (disponible sur le site du Parlement
)

 

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