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Le CPE viole-t-il le droit communautaire ?

 

Le Contrat Première Embauche (CPE) adopté en France est-il contraire au droit de l’Union européenne ? (1)

Avant de laisser dégénérer ce qui semble être un conflit insoluble (sauf par le recul de l’un des camps et donc au prix de frustrations et de rancoeurs), s’est-on posé la question ? Se l’est-on posée avant même d’élaborer le projet de loi ? Le réflexe de tenir compte des obligations résultant du droit communautaire devrait être systématique dans les cabinets ministériels et les laboratoires juridiques où se concocte la législation nationale, mais il n’est pas certain que ce soit le cas.

Pourquoi se poser la question de la conformité du CPE au droit communautaire? Parce qu’en cas de réponse négative, toute personne intéressée peut  faire constater en justice l’illégalité du CPE au regard des règles communautaires, ce qui le rend alors inapplicable. On peut imaginer d’ailleurs qu’il ne soit pas nécessaire d’aller jusque là : déjà souvent condamnées pour non respect des règles communautaires et encore récemment à des amendes et des astreintes importantes, les autorités françaises n’ont peut-être pas intérêt à ignorer les arguments juridiques tirés du droit communautaire d'autant plus qu'ils leur offrent une porte de sortie acceptable sans paraître céder à la pression des manifestants.

On aurait intérêt à lire ou relire la directive européenne 2000/78 du 27/11/2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. Comme son nom l’indique, ce texte interdit, sauf exceptions, les discriminations directes ou indirectes liées  à un certain nombre de caractéristiques comme l’âge.

Plus précisément, l’article 6 de la directive 2000/78 énonce que les discriminations dans l’accès à l’emploi fondées sur l’âge ne sont admises que « lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ».

Si l’on confronte le CPE à la directive 2000/78, il est difficilement contestable qu’il entre dans le champ d’application de ce texte et plus particulièrement dans celui des dispositions relatives à la discrimination fondée sur l’âge puisque le CPE ne concerne que les moins de 26 ans. Il reste alors à savoir si la condition posée par l’article 6 de la directive pour justifier une telle discrimination est remplie.

Et de ce point du vue, l’analyse de l’arrêt rendu par la Cour de Justice des Communautés européennes dans l’affaire Werner Mangold contre Rüdiger Helm (arrêt du 22/11/2005, affaire C-144/04) peut donner des indications très utiles. Dans cette affaire, un salarié allemand, M.Mangold, contestait la validité d’une législation de son pays qui autorisait, sans restrictions, la conclusion de contrats de travail à durée déterminée pour tous les travailleurs ayant  atteint l’âge de 52 ans. Dans son arrêt, la Cour de justice reconnaît que la législation « a clairement pour objectif de favoriser l’insertion professionnelle des travailleurs âgés au chômage, dans la mesure où ces derniers se heurtent à des difficultés importantes pour retrouver un emploi » (attendu 59). Ce but justifie, en principe, «objectivement et raisonnablement» une différence de traitement fondée sur l’âge (attendu 61). Mais la Cour ajoute que la législation  allemande va  au-delà de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi (65). Car  elle aboutit à ce que tous les travailleurs ayant atteint l’âge de 52 ans, sans distinction, puissent  se voir proposer des contrats de travail à durée déterminée susceptibles d’être reconduits un nombre indéfini de fois. Cette catégorie importante de travailleurs, déterminée exclusivement en fonction de l’âge, risque ainsi d’être exclue du bénéfice de la stabilité de l’emploi, qui constitue pourtant un élément majeur de la protection des travailleurs (64). Et c’est pourquoi la Cour de justice des Communautés européennes déclare la législation allemande contraire au droit communautaire, donnant ainsi raison à M.Mangold.

On le voit, cet arrêt semble fournir des arguments à l’appui d’un recours contre le CPE (sous réserve d’étude plus approfondie).

07/03/2006, actualisé le 09/03

 


 

1 - En général, les aguments juridiques contre le CPE négligent  le droit communautaire pour se concentrer sur la violation des règles de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) et plus précisément la Convention 158, ou encore celle du principe constitutionnel d'égalité.

On objecte que ce que le gouvernement appelle une période de "consolidation" (les deux ans durant lesquels on peut licencier librement) est en réalité une période d'essai. Or la Convention 158  de l'OIT sur le licenciement qui pose des règles de protection des travailleurs prévoit que ces règles ne peuvent être écartées que pour les travailleurs  en période d'essai à condition que la durée de cette période soit "raisonnable". Un argument en faveur de la violation de ce texte par le CPE consiste à faire remarquer que deux ans ce n'est pas une durée que l'on peut qualifier de "raisonnable". Donc, on pourrait contester le CPE sur cette base devant un juge.

Le problème, c'est que le Conseil d'Etat français qui avait été saisi par des syndicats de travailleurs lors du vote du Contrat Nouvelle Embauche (CNE) a estimé, lui, que deux ans c'était une durée "raisonnable" (dans une décision du 19 octobre 2005). Il reste à savoir ce qu'en penserait la Cour de cassation, mais on ne peut pas garantir qu'elle ne se rallie pas à l'interprétation du Conseil d'Etat (bien qu'elle ait fixé dans sa jurisprudence des durées d'essai plus brèves, mais variables et donc susceptibles de varier encore).

Il y a d'autres arguments contre le CPE. Par exemple, le fait qu'il est contraire à un  principe constitutionnel du droit français, le principe d'égalité. Mais là encore, ce n'est pas un argument imparable car le Conseil constiutionnel estime qu'une loi peut faire exception pour des «raisons d'intérêt général».Et dans une décision du 22/07/2005 , il a précisément jugé que l'emploi des jeunes était un objectif d'intérêt général justifiant des dérogations au principe d'égalité.

 

Pour aller plus loin:

Directive 2000/78 

Texte de la directive

( Ce texte constitue un outil de documentation n'engageant pas la responsabilité des institutions européennes. Seule fait foi la législation européenne qui est publiée dans les éditions papier du Journal Officiel de l'Union Européenne).

 

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  • Conclusions des avocats généraux

 

 

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