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Les cliniques privées françaises attaquent le financement de l'Hôpital public devant la Commission européenne

 

Le conflit traditionnel qui oppose les cliniques à l’hôpital en France connaît un nouvel épisode avec la plainte que vient de déposer la fédération française de cliniques et hôpitaux privés spécialisés en médecine, chirurgie et obstétrique (FHP-MCO) devant la Commission européenne. La FHP-MCO s’attaque au financement de l’hôpital public en reprochant à l’Etat français de pratiquer un « financement discriminatoire, non justifié et préjudiciable entre établissements de santé publics et privés, au détriment des cliniques et hôpitaux privés en France » (communiqué de presse du 08/09/2011, Tarifs hospitaliers : les cliniques et hôpitaux privés MCO portent plainte à Bruxelles pour atteinte à la libre concurrence).

La plainte met en cause le fait qu’il n’existe pas de tarif unique des prestations de soins entre l’hôpital public et les cliniques. Le code de la sécurité sociale permet en effet des tarifs différents selon les établissements. Mais la FHP-MCO estime que cette différenciation qui doit être justifiée, ne l’est pas dans les faits. Or les écarts de financement sont importants, allègue la plaignante: les tarifs de remboursement de la Sécurité sociale restent inférieurs de 26% en moyenne à ceux de l’hôpital public, alors que les prestations sont identiques. A titre d’exemples, la plainte cite le cas de la prothèse de hanche pour la pose de laquelle un hôpital public perçoit 6457 euros alors que la clinique perçoit 5492 euros. ou encore d’une masectomie totale pour tumeur maligne, remboursée à hauteur de 4087 euros à l’hôpital public et de 2587 euros à une clinique privée. Au final, argumente la Fédération par la voix de son président, « ces aides d’Etat déguisées sont coûteuses pour la Sécurité sociale, et donc pour les contribuables : 10 à 12 milliards d’euros pourraient être économisés chaque année si la convergence des tarifs hospitaliers public/privé était réalisée”. La FHP-MCO conteste aussi « l’attribution de manière opaque et non justifiée de 99% des 8,3 milliards d’euros de l’enveloppe MIGAC (missions d’intérêt général et aides à la contractualisation) aux seuls hôpitaux publics » qu’elle accuse d’ aggraver la distorsion de concurrence entre public et privé.

Selon la plaignante, le financement discriminatoire des établissements de santé MCO est contestable sur différents points : il constitue un mécanisme d’aides d’Etat au profit des établissements publics de santé. contraire aux dispositions de l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), il n’a pas fait l’objet d’une notification au titre de l’article 108 §3 du TFUE ; et il ne répond pas aux conditions d’exemptions au titre des services d’intérêt économique général (article 106 TFUE), telles que les a définies la jurisprudence communautaire.

Précisément, que dit cette jurisprudence ?

La Cour de justice de l’Union européenne distingue dans sa jurisprudence les services d’intérêt général (SIG) qui ne peuvent être assimilés même partiellement à des activités économiques (police, éducation, services sociaux financés par la solidarité nationale...) et les services d’intérêt économique général (SIEG) qui sont des activités d'intérêt général ayant un caractère économique et donc relevant des lois du marché. Mais pour ces derniers, la Cour reconnaît que leur spécificité (activité d’intérêt général soumise à des exigences particulières afin de garantir l’accomplissement de la mission assignée) peut sous certaines conditions, justifier des dérogations aux règles communautaires notamment de concurrence et de libre prestation de services.

La question qui se pose souvent est celle du financement de ces services, dans la mesure où en contrepartie des exigences liées à l’accomplissement de la mission d’intérêt général (obligations de service public), les entités chargées de cette mission bénéficient d’un financement public alors que leurs homologues privés ne bénéficient pas d’un tel soutien. Or, les règles de concurrence prohibent les aides d’état qui faussent la concurrence. Mais il existe des exceptions et en particulier des exceptions en faveur de ce que l’on appelle les « compensations » versées par les autorités publiques aux organismes chargés d’un SIEG pour compenser le surcoût qu’engendrent les obligations de service public. Ces financements ne sont pas considérés comme des aides d’état et vont donc échapper aux règles posées par les traités s’ils remplissent les conditions dégagées par la Cour dans sa jurisprudence Altmark (arrêt du 24 juillet 2003, aff.C-280/00, Altmark Trans GmbH et Regierungspräsidium Magdeburg contre Nahverkehrsgesellschaft Altmark GmbH) et par la Commission européenne dans la décision du 28/11/2005 prise à la suite de cet arrêt (voir sur ce site : Financement des services d'intérêt économique général). Dans sa décision, la Commission précise que les financements publics accordées aux hôpitaux sont exemptés de notification quel que soit le montant du financement (considérant 16 de la décision). Un des arguments (moyens) de la FHP-MCO à l’appui de sa plainte (l’absence de notification) est donc inopérant.

Mais cela met-il les aides publiques aux hôpitaux à l’abri des contestations? Non. Car si l’absence d’obligation de notification de ces aides signifie qu’elles sont présumées conformes aux règles du droit communautaire, cette présomption peut être renversée par la preuve contraire, ce que veut faire la FHP-MCO en soutenant qu’il y a bien aides d’état incompatibles avec les règles communautaires.

L’ examen de la plainte se concentrera donc sur cette question de fond.

Dans la décision Altmark , la Cour juge qu'une compensation financière représentant la contrepartie d'obligations de service public imposées par un Etat membre n’est pas incriminable si l’entité bénéficiaire exécute des obligations de service public clairement définies, si les bases de calcul de la compensation ont été établies de façon objective et transparente, si la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés pour l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes relatives ainsi que d'un « bénéfice raisonnable » pour l'exécution de ces obligations. Concrètement, le respect de ce critère s’apprécie par rapport à deux conditions : soit l’entreprise est choisie dans le cadre d’une procédure de marché public soit la compensation est établie sur la base des coûts d’une entreprise moyenne bien gérée et adéquatement équipée pour fournir le SIEG, selon la définition donnée par la Commission. Que faut-il entendre par entreprise moyenne bien gérée ? La question reste posée, ce qui crée une incertitude juridique. Mais la Commission, à l’instar de la Cour, tient compte de la nature des services et considère que les missions de services publics assumées par les hôpitaux notamment justifient que la compensation puisse excéder les seuils admis. Car certaines obligations de service public peuvent s’avérer coûteuses : il en est ainsi des activités dirigées vers les personnes les plus défavorisées, par définition non solvables et susceptibles de développer des pathologies lourdes du fait de leurs conditions de vie ou encore, d’activités non génératrices de recettes comme la recherche par exemple. C’est l’argument opposé aux cliniques privées par l’état et par la Fédération hospitalière de France (FHF), qui représente l'hôpital public. Cette dernière souligne que l’écart de tarification dont se plaint la FHP-MCO est justifié par les missions qu'assume l'hôpital public dont le champ d’activité est plus général et le public pris en charge plus diversifié que celui des cliniques. Cette spécificité est reconnue par la Commission européenne elle-même dans sa décision de 2005 dont le considérant 16 précise : « Il convient en particulier de tenir compte du fait que, au stade actuel du développement du marché intérieur, l'intensité de la distorsion de concurrence dans ces secteurs n'est pas nécessairement proportionnelle au chiffre d'affaires et au niveau de la compensation. En conséquence, les hôpitaux proposant des soins médicaux, des services d’urgence et des services auxiliaires directement liés aux activités principales, notamment dans le domaine de la recherche…doivent bénéficier de l'exemption de notification énoncée dans la présente décision, même si le montant de la compensation qu'ils reçoivent excède les seuils prévus par celle-ci, pour autant que les services qu’ils fournissent soient qualifiés de services d'intérêt économique général par les États membres ». C’est pourquoi le sort de la plainte de la FHP-MCO est hasardeux. L’Etat français doit certes démontrer que l’écart de tarification n’est pas excessif mais il doit le faire par rapport à des principes dont on vient de voir qu’ils permettent une certaine « indulgence » dans l’appréciation de la compensation.

16/09/2011

 

 

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