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En octobre, le Conseil européen prend des décisions…risquées

 

La Commission européenne avait présenté il y a peu différentes propositions pour renforcer la gouvernance économique européenne afin de les soumettre au Conseil européen. Elle s’attendait certainement à des modifications mais n’avait peut-être  pas prévu que les états allaient « corser la difficulté »…Lors de leur réunion des 28 et 29 octobre, les dirigeants des 27 pays membres de l’Union européenne (1) ont montré que loin d’être un conclave ronronnant le Conseil européen pouvait prendre des décisions audacieuses, voire risquées sous couvert de procéder à une « réorientation fondamentale de la gouvernance économique européenne ».

 

Réorienter la gouvernance économique européenne

Afin de consolider le pilier économique de l’Union Economique et Monétaire, les états sont convenus de renforcer la discipline budgétaire, d’élargir la surveillance économique et d’approfondir  la coordination des politiques. En d’autres termes, les axes qui fondaient les propositions de la Commission sont avalisés par le rapport du groupe de travail du Conseil sur la gouvernance économique européenne (2) et le Conseil appelle le Parlement européen à une adoption rapide de ces propositions d’ici l’été 2011 :

- Un mécanisme permanent de gestion de crise pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble : la Commission doit « entreprendre, en étroite consultation avec le président du Conseil européen, des travaux préparatoires relatifs aux composantes générales du nouveau mécanisme qui sera mis en place, notamment le rôle du secteur privé, le rôle du FMI et la très stricte conditionnalité à laquelle doit être subordonnée l'action menée dans le cadre de ce type d'instrument ». Ainsi, le fonds de stabilisation financière mis en place au printemps dernier se trouve-t-il pérennisé.

- Dans sa conférence de presse après le Sommet, le Président du Conseil Van Rompuy a également mis l’accent sur l’accord intervenu sur la mise en place d’un cadre de surveillance macroéconomique et d’une modification du Pacte de Stabilité et de Croissance avec, en particulier, une importance plus grande donnée au critère de l’endettement pour apprécier la situation budgétaire d’un pays (3). La très controversée question de l‘automaticité des sanctions en cas de non respect des règles du Pacte n’est pas abordée dans les conclusions du Conseil. Mais M.Van Rompuy s’est montré moins avare d’information dans son compte rendu du Sommet. Selon lui, les états ont accepté qu’il « puisse » y avoir des sanctions dès que le déficit budgétaire d‘un pays atteint le taux fatidique de 3% du PIB et que les sanctions puissent être décidées plus facilement puisque les membres du Conseil décideront les sanctions par un vote à la majorité qualifiée «inversée » : la proposition de sanctions sera adoptée sauf si une majorité qualifiée vote contre (la procédure actuelle prévoit au contraire qu’il faut une majorité qualifiée pour adopter les sanctions, ce qui rend cette adoption difficile, évidemment).

 

Modification limitée du Traité de Lisbonne

L’ invitée « surprise » de la discussion a été la question de la modification du Traité (4).

On peut lire dans les conclusions de la présidence que les membres du Conseil invitent son président, M.Van Rompuy, « à engager avec les membres du Conseil européen des consultations sur une modification limitée du traité… sans toucher à l'article 125 TFUE (clause de "no bail-out" ou clause de renflouement) ». Cette modification serait rendue nécessaire par la création du fonds permanent de stabilisation financière, la clause de non renflouement interdisant à l’Union et à ses états membres de sauver un des leurs de la faillite.

La Commission européenne, par la voix de madame Reding  s’est insurgée devant ce qu’elle considère être une décision prise par le couple franco allemand qui tenterait de l’imposer aux autres états. Sans doute aussi et surtout la Commission est-elle mortifiée de se voir écartée du processus, au profit de M.Van Rompuy alors qu’elle est, en tant que garante de l’intérêt communautaire, investie d’un pouvoir de proposition  qui lui est reconnu non seulement en matière législative mais aussi en matière de révision des traités.

Sur le plan juridique, la décision de réviser le traité ne serait pas contestable.

Elle répond notamment à une objection de la Chancelière Angela Merkel  qui assure que la mise en place d’un tel Fonds sans modifier le traité ne serait pas accepté par la Cour constitutionnelle allemande. Or Angela Merkel avait déjà avancé cet argument au moment de la mise en place du plan européen d’aide pour sauver la Grèce de la déconfiture et de la création du fonds de stabilisation temporaire. A l’époque, la participation de l’Allemagne à ces mesures avait été attaquée devant la Cour constitutionnelle par des économistes qui demandaient une injonction interdisant l’aide allemande à la Grèce. Pourtant, la Cour avait avalisé cette aide “pour ne pas mettre en péril l’union monétaire” et parce que “la charge” financière pesant sur l’Allemagne “ne porterait pas un préjudice fondamental à l’intérêt général” (5). Cette jurisprudence serait cependant d’application limitée à des mesures temporaires, expliquent les dirigeants allemands, et s’opposerait à une pérennisation des mesures de solidarité financière sans que les dispositions du traité n’aient été adoptées au préalable. Afin de ne pas risquer une censure de juges, les états ont donc décidé de recourir à la procédure de révision. Leur préférence irait à la procédure simplifiée de l’article 48 al6, plus rapide et moins lourde, puisqu’elle ne prévoit pas la réunion d’une Convention européenne, constituée de parlementaires nationaux et européens, mais d’une Conférence Intergouvernementale (CIG) *. Ensuite, la révision doit être ratifiée par les 27 pays selon leurs procédures de ratification respectives, un scenario risqué si l’on se souvient des péripéties malencontreuses des ratifications des traité constitutionnel et traité de Lisbonne.

19/11/2010

 

 *Correction (le 24/12/2010) : un lecteur, Aurélien, me signale que j'ai fait une erreur en écrivant que la procédure simplifiée de l'article 48 al6 prévoit la réunion d'une conférence Intergouvernementale (CIG). Il a raison : l'article 48 al.6 dispose qu'une décision du Conseil statuant à l'unanimité suffit: " Le gouvernement de tout État membre, le Parlement européen ou la Commission peut soumettre au Conseil européen des projets tendant à la révision de tout ou partie des dispositions de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relatives aux politiques et actions internes de l'Union.

Le Conseil européen peut adopter une décision modifiant tout ou partie des dispositions de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le Conseil européen statue à l'unanimité, après consultation du Parlement européen et de la Commission ainsi que de la Banque centrale européenne dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire. Cette décision n'entre en vigueur qu'après son approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

La décision visée au deuxième alinéa ne peut pas accroître les compétences attribuées à l'Union dans les traités."

Merci à Aurélien et désolée pour cette erreur.

 


 

1- Conseil européen, 28 et 29 octobre 2010, Conclusions

2 – Rapport du groupe de travail du Conseil : Renforcer la gouvernance économique de l’UE

3 - Press remarks by Herman VAN ROMPUY President of the European Council following the first session of the European Council

4 - Jean Quatremer : « Gouvernement économique : la Commission ne veut pas d’un nouveau traité », 27/10/2010

5 - Federal Constitutional Court - Press office - Press release no. 30/2010 of 8 May 2010 - Order of 7 May 2010 – 2 BvR 987/10 –Temporary injunction to prevent giving of guarantee for loans to Greece is not issued

 

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