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L’avenir de la PAC en question

 

Plutôt que de réforme, la Commission européenne a préféré parler de « bilan de santé » de la Politique Agricole Commune (PAC) lors de la présentation de ses propositions le 20/05/2008 dans la perspective de la réforme qui doit être mise en œuvre à partir de 2013.

Car c’est bien de réforme (ou plus exactement  de poursuite de la réforme engagée depuis plusieurs années) qu’il s’agit comme le montre bien une des  propositions phare à savoir le découplage des paiements directs de la production (1). Cette mesure n’est pas nouvelle. Elle est déjà en application aujourd’hui. Mais la Commission européenne propose de l’étendre à tous les secteurs (avec des exceptions pour les vaches allaitantes, les brebis et les chèvres). La Commission propose également d’adopter un taux d’aide plus uniforme comme l’aide à l’hectare qui pourrait être substitué au système qui, c’est le cas en France, permet de calculer l’aide directe (DPU ou droit à paiement unique) en fonction de la production antérieure. La Commission propose d’aller plus loin grâce à la « modulation », un mécanisme qui consiste à réduire les paiements directs en faveur des agriculteurs pour affecter les fonds correspondants au budget du développement rural afin de  « mieux répondre aux nouveaux défis  et opportunités  auxquels l’agriculture européenne doit faire face », y compris le changement climatique, la nécessité d'une meilleure gestion de l'eau et la protection de la biodiversité. La conditionnalité des aides et la limitation des paiements  « libéreront les agriculteurs de contraintes inutiles et leur donneront la possibilité de maximaliser leur potentiel de production » et de l’adapter à la demande, plaide la Commission.

D’ autres mesures proposées concernent les instruments de marché. Il s’agit de la suppression des jachères obligatoires et de l'augmentation progressive des quotas laitiers, avant leur disparition en 2015, la hausse de la demande mondiale ne justifiant plus ces mesures « malthusianistes ». Des mesures en faveur des producteurs laitiers des régions de l'Union européenne fortement tributaires de la production laitière, telles que les zones de montagne seront adoptées grâce à la possibilité que conservent les états d’affecter 10% de leur enveloppe budgétaire d’aides directes à des actions spécifiques par exemple en prélevant sur les aides aux céréaliers pour aider l’agriculture de montagne. La Commission propose également la réduction de l'intervention sur les marchés  (c’est à dire du rachat par l’Union européenne des excédents invendus). La réduction serait totale pour le blé dur, le riz et la viande de porc. La Commission explique que  l’intervention doit « retrouver sa finalité première », qui est de servir de filet de sécurité (et non de complément de revenu).

Enfin, pour rendre la PAC pérenne, la Commission européenne propose de l’adapter de façon à répondre aux défis actuels en matière de production, de lutte contre le changement climatique, de gestion plus efficace de l'eau, d'exploitation optimale des possibilités offertes par les bioénergies et de préservation de la biodiversité. La Commission propose une « modulation » des aides, un mécanisme qui consiste à réduire les paiements directs en faveur des agriculteurs pour affecter les fonds correspondants au budget du développement rural afin de « mieux répondre aux nouveaux défis  et opportunités  auxquels l’agriculture européenne doit faire face ». Le transfert des paiements directs vers le budget consacré au développement rural augmenterait grâce à un prélèvement sur les aides directes d'un montant supérieur à 5000 € . Ce prélèvement atteindrait 13% d'ici 2012, les fonds correspondants allant abonder le budget du développement rural. La réduction serait plus importante encore pour les grandes exploitations qui subiraient des prélèvements additionnels de respectivement 3 %, 6 % et 9 % selon qu'elles perçoivent 100 000 €, 200 000 € et 300 000 € d'aides directes.

Certaines de ces propositions font grincer des dents. Le redéploiement des crédits ne fait pas l’affaire de tout le monde et notamment des grandes exploitations qui seraient touchées par le principe de limitation des aides.

L’Allemagne par exemple, est inquiète de voir diminuer les aides aux exploitations de l’est. Et le Royaume-Uni oublie son libéralisme pour manifester la même crainte. Il est vrai que le gotha britannique figure au premier rang des bénéficiaires de subventions agricoles .

Quant à la France, sa position est résumée dans un communiqué du ministre français de l’agriculture qui, après avoir relevé « avec intérêt » les éléments qui viennent « conforter » la production agricole en Europe (mise en place d’outils de gestion des risques climatiques et sanitaires au sein du premier pilier de la PAC (3), conservation d’un certain degré de couplage des aides animales, indispensable au maintien de ces productions dans des territoires souvent fragiles) souligne que « certains points… ne sont pas acceptables en l’état » (2) . Il en est ainsi du  démantèlement de l’intervention (mécanisme de stabilisation des marchés) tel que proposé par la Commission, qui serait contradictoire avec le besoin d’un véritable filet de sécurité sur les marchés agricoles ou encore de la fin rapide des aides couplées qui doit être revue, estime le ministre, compte tenu de ses effets négatifs sur l’activité de certaines filières. Le maintien d’un premier pilier économique fort est également une priorité pour la France. Enfin, celle-ci affirme son intention d’être « particulièrement vigilante sur les quotas laitiers, afin que les propositions de la Commission n’aboutissent pas à une déstabilisation de la filière ». La PAC est ainsi une des priorités affichées de la future présidence française de l’Union européenne pour défendre « une politique agricole ambitieuse, capable de relever les défis du futur ». Or, selon la France, « c’est principalement le premier pilier, celui de l’économie agricole, qui peut permettre de répondre à ces défis, à condition d’en faire évoluer les principaux outils dans un sens plus équitable et plus durable ». Les négociations s‘annoncent difficiles compte tenu des différences de conception avec la Commission et certains états qui à l’instar du Royaume-Uni plaident pour une suppression des primes et un désarmement douanier sur les matières premières agricoles (à l’instar de la suspension des droits de douane en Europe sur la plupart des céréales décidée l'an dernier par l’Union). Surtout, la France en sa qualité de Présidente de l’Union européenne devra veiller à rechercher un compromis avec ses partenaires conforme à l’intérêt général et non à ses propres intérêts. Exercice difficile pour un  pays très attaché à la PAC et à son budget. Or, c’est là que le bât blesse comme souvent : la PAC représente encore plus de 40% du budget communautaire, ce qui est jugé beaucoup trop cher par les britanniques mais fait l’affaire d’autres pays et notamment des pays agricoles nouvellement arrivés dans l’Union européenne comme la Pologne.

Le contexte peut-il donner des arguments décisifs à la France ? Alors que le prix des matières premières ne cesse de monter, la  politique agricole est-elle plus que jamais nécessaire ou au contraire ne se justifie-t-elle plus? Selon le ministre français de l’agriculture, la crise alimentaire mondiale montre que l’Union doit préserver sa capacité de production. L’analyse est différente de l’autre côté de la Manche, les britanniques considérant que la hausse des prix agricoles rend sans objet la politique agricole commune. Pour conforter sa position, le Royaume-Uni relaie un argument souvent mis en avant par de nombreux pays en développement et des organisations non gouvernementales, selon lequel  les  subventions et les barrières douanières agricoles européennes contribuent aux  problèmes actuels en pénalisant les pays pauvres et en maintenant  artificiellement les prix élevés.

Un dilemme qu’il faudra aussi résoudre. Mais comment?

Invité de France inter le 31/05/2008, Edgar Pisani, qui fut Ministre de l’agriculture de 1961 à 1966, proposait les pistes suivantes : déposséder l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de son monopole comme instance de règlement des problèmes commerciaux, lier de façon rigoureuse politique agricole et politique alimentaire, considérer que le problème de la faim est l’un des plus dangereux pour la sécurité mondiale, organiser le monde en zones les plus homogènes possibles ayant des règles internes correspondant à leur réalité et des règles externes d’échange prenant en compte l’équilibre du monde (4).

L'urgence est là : selon la FAO, la « flambée des prix des denrées alimentaires provoque d’immenses souffrances et privations: elle peut avoir des effets dévastateurs sur les 800 millions d’êtres humains déjà victimes de sous-alimentation chronique. Déjà leur nombre se grossit de plusieurs autres millions de pauvres qui ne sont plus en mesure d’aujourd’hui de se procurer la nourriture dont leur famille a besoin pour mener une vie saine » (5).

31/05/2008

 


 

1 -   Née avec l’intégration communautaire, la PAC a été longtemps  caractérisée par l’existence de prix garantis minimaux et des tarifs douaniers qui permettaient aux agriculteurs européens d’être protégés des fluctuations des marchés internationaux. Si cette politique a permis l’autosuffisance elle a aussi encouragé le productivisme effréné puisque plus on produisait, plus on vendait, la Communauté intervenant pour racheter les invendus. Pour maintenir l’attractivité des prix européens sur le marché extérieurs, des subventions comblaient l’écart entre le prix défini au niveau européen et le prix réel du marché. Une véritable usine à gaz qui a généré comme on le disait montagnes de beurre et fleuves de lait. D’où des réformes successives pour mettre fin à la dérive productiviste , au grand dam des agriculteurs bénéficiaires, notamment en France.

2 - Les deux piliers de la Politique Agricole Commune issus des réformes de ces dernières années sont :  les organisations communes de marchés (OCM) des différentes filières (ex :  céréales, oléagineux, fruits et légumes, viandes, vins, etc…) dont l’élément le plus connu est l’existence de primes  pour compenser les baisses de prix à la production qui  tendent peu à peu vers les prix mondiaux (1er pilier).  Le deuxième pilier de la PAC  concerne le développement rural (ex : actions agro-environnementales, aide aux zones défavorisées, amélioration de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles …)

3 - Communiqué du 20/05/2008

4 - France Inter, le sept neuf du samedi, 31/05/2008

5 - Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture : « La flambée des prix des denrées alimentaires : faits, perspectives, effets et actions requises », rapport d'avril 2008, préparatoire à la Conférence de haut niveau sur la sécurité alimentaire mondiale, Rome, 3 – 5 juin 2008

 

 

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