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Pas de frontières pour les notaires

 

La Commission européenne s’est attaquée à un sanctuaire, celui qui abrite une institution o combien vénérable : les notaires.

La proposition de directive sur les services (dite proposition Bolkestein...autrefois), prévoyait la libéralisation de cette activité. Un lobbying judicieux de la profession eut pour conséquence de l’exclure du champ d’application de la proposition de directive.

Qu’à cela ne tienne ! La Commission européenne décidément tenace change de tactique et tire de nouvelles munitions de sa musette en poursuivant la procédure qu’elle avait lancée pour que la condition de nationalité soit abolie, ce qui permettrait d’entrebailler la porte aux notaires provenant d’autres états de l’Europe communautaire(1).

En France, comme d’autres pays européens, la profession de notaire est réservée aux nationaux. Le motif invoqué est que cette activité relève de l’exercice de l’autorité publique. En France, par exemple, les notaires ont la compétence de donner « force exécutoire » à certains actes ce qui permet de faire l’économie d’une décision de justice pour en obtenir l’application en cas de difficulté. Ainsi le bailleur en possession d’un contrat de location établi devant notaire pourra-t-il directement mettre en œuvre des procédures d’exécution pour contraindre le locataire à respecter ses obligations, sans avoir au préalable à se faire autoriser par un juge. Cette participation des notaires au service public de la justice justifierait une exception au principe de la liberté d’établissement prévue à l’article 43 du traité instituant la Communauté européenne et au principe communautaire de non discrimination en fonction de la nationalité qui implique que les citoyens d’un autre pays de l’Union aient les mêmes droits et obligations que les nationaux.

L’ argument est réfuté par la Commission qui objecte que selon la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes, la participation à l’exercice de l’autorité publique doit être  « directe et spécifique » pour que l’exception soit applicable. Ce qui n’est pas le cas du notaire selon elle, car il ne peut imposer de décision contre la volonté d'une des parties qu'il conseille : « En d'autres termes, il ne tranche pas et n'exerce donc pas d'actes d'autorité au nom de l'Etat », estime-t-elle. Exit donc l’argument tiré de la participation à l’autorité publique. Quant à celui de la compétence (la profession de notaire nécessiterait un « haut niveau de qualification »), la Commission le balaie d’un revers de main en rappelant que la directive  89/48 sur le système général de reconnaissance des diplômes permet de vérifier par le test d’aptitude ou le stage la maîtrise des connaissances nécessaires en droit national. Pas d’excuse donc, pour maintenir une condition de nationalité.

Bien que la Commission s’empresse de préciser que la suppression de la condition de nationalité n’implique pas la modification du statut des notaires et ne remet pas en cause  la compétence des Etats de réglementer la profession, la pierre dans le jardin à la française des notaires a fait réagir cette communauté que l’on imagine plus pondérée. Dans un communiqué du 12/10, le Conseil des notariats de l’Union européenne  apostrophe  vertement la Commission européenne (3). Il rappelle que dans de nombreux pays, les notaires  sont des officiers publics qui « contribuent par la délivrance des actes authentiques et leur fonction de magistrats de l’amiable au bon fonctionnement de la Justice ». L’argument de la Commission selon lequel les notaires n’exercent « pas d’actes d’autorité au nom de l’Etat » est « inacceptable » car il ne prend en compte que leur activité de conseil et « omet ainsi l’essentiel, à savoir l’exercice par les notaires du service public de l’authenticité dans 19 des 25 pays de l’Union ». Enfin, dernière remarque acide : « Les notariats de l’Union rappellent que la détermination des conditions dans lesquelles s’exerce leur délégation de puissance publique, et les effets des actes qu’ils rédigent, ne relèvent pas de la Commission, mais de la souveraineté des Etats membres. Ils s’en remettent donc aux décisions de leurs Etats en la matière ».

Voilà la Commission prévenue : les notaires ont mis les charriots en cercle.

Réflexe corporatiste ? Quel vilain soupçon !

Tout de même…Tout de même…la position des notaires semble effectivement très protectionniste, preuve en est le forcing auquel ils se sont livrés pour faire  exclure de la libéralisation leur profession dans son ensemble et non pas seulement les activités qui correspondent à leur mission d’intérêt général (4).

Sur le fond, l’argument de l’exercice d’actes d’autorité au nom de l’Etat doit être examiné à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. L’arrêt Reyners précise que la dérogation au principe de liberté d’établissement ne peut profiter à une profession entière à moins que les activités que ses activités soient étroitement liées de telle manière que la libéralisation aurait pour effet d’imposer à l’État l’obligation d’admettre l’exercice, même occasionnel, par des non nationaux, de fonctions relevant de l’autorité publique (5). Autrement dit, les restrictions à la liberté d’établissement ne peuvent être invoquées que pour des activités et non pour une profession dans son ensemble. S’il est possible de détacher les activités contribuant à l’exercice de l’autorités publique de celles qui n’ont pas ce caractère (conseil juridique), la condition de nationalité ne peut être imposée pour les secondes.  

La Commission européenne ne semblant pas décidée à faire marche arrière, une procédure se profile à l’horizon si la France ne répond pas de manière satisfaisante (c’est-à-dire convaincante) à l’injonction de la Commission (appelée « avis motivé »). Le délai est de deux mois, après quoi la Cour de Justice des Communautés européennes pourrait être saisie pour manquement de la France à son obligation de respecter le droit communautaire.  

  29/10//2006

 


 

1 - "Conditions de nationalité applicables aux notaires: la Commission prend des mesures pour garantir la bonne application de la législation communautaire dans 16 États membres", communiqué de presse IP/06/1385, 12 octobre 2006

2 - Directive 89/48 du 21 décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans (JO L 19 du 24/01/1989) (NB: la directive 2005/36 du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles reprend et remplacera la directive 89/48 ainsi que d'autres directives plus spécifiques à partir du 20/10/2007)

3 - Communiqué du Conseil des Notariats de l'Union européenne

4 - Rapport d’information n°206 au nom de la délégation pour l’Union européenne du Sénat, sur la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur, enregistré à la présidence du Sénat le 18/02/2005, p.20.

5 - CJCE, 21/06/1974, aff.2/74, Reyners c.Etat belge

 

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