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Brexit : Boris Johnson neutralise le Parlement


La nouvelle est arrivée comme un nouveau coup de tonnerre dans le ciel chargé du Brexit : le Premier Ministre, Boris Johnson, a décidé de suspendre le Parlement. Le 28 août, il a demandé à la Reine d’approuver cette décision (l’approbation de la Reine est nécessaire, mais la reine ne peut refuser une demande du Premier ministre à moins de vouloir provoquer une crise constitutionnelle majeure). La Reine a validé cette suspension qui débutera le 10 septembre pour prendre fin le 14 octobre. Aussitôt connue, la décision de clôturer la session parlementaire a provoqué un flot de réactions virulentes, accusant en substance Boris Johnson de vouloir imposer un Brexit sans accord (hard Brexit) alors même que les députés de la Chambre des communes se sont plusieurs fois exprimés contre cette option.

Du coup, la décision de Boris Johnson est qualifiée de coup de force, voire de coup d’état, avec la modération qui caractérise notre époque. Car, si elle est critiquable, cette décision n’est évidemment pas un coup d’état mais la réponse du Gouvernement à la paralysie institutionnelle dans laquelle s’est enfoncé le Royaume-Uni à la suite du referendum de 2016 et dont le Parlement est en large partie responsable. On se souvient que les députés ont exigé de se prononcer sur les modalités du Brexit, mais qu’ils n’ont jamais pu se mettre d’accord sur celles-ci. Peu désireux apparemment d’expérimenter les déboires subis par Theresa May, Boris Johnson a donc pris une décision radicale qui peut se résumer ainsi: puisque le Parlement pose un problème pour parvenir au Brexit, suspendons le Parlement. Malgré ses dénégations, il paraît évident, en effet, que sa décision vise à limiter la capacité de résistance du Parlement en réduisant les débats.

En a-t-il le droit ? Est-ce constitutionnel ? Des recours sont ou vont être engagés contre sa décision. La réponse sera donc donnée par les tribunaux s’ils sont jugés recevables. En attendant, il faut essayer de comprendre cette nouvelle originalité britannique (1) qui a permis à une Reine, par définition non élue au suffrage universel direct de neutraliser, à la demande d’un Premier Ministre pas davantage élu au suffrage universel direct, des députés qui sont, eux, élus au suffrage universel direct.

La suspension du Parlement marque la fin d’une session parlementaire. En dehors du cas particulier où il y a dissolution du Parlement et convocation de nouvelles élections, cette suspension est de courte durée. Elle interrompt le travail législatif (examen et vote des lois, questions au gouvernement…) durant un temps limité de deux semaines au maximum, habituellement. A la fin de cette période, la nouvelle session parlementaire est ouverte par le traditionnel discours de la Reine dans lequel est exposé le nouveau programme législatif.

Clôturer la session parlementaire en cours est une prérogative qui appartient à la Reine en vertu de ce que l’on appelle la « prérogative royale » (royal prerogative). Il s’agit d’une survivance de l’époque où le monarque était tout puissant.  Dans un régime de monarchie parlementaire, l’exercice de ce pouvoir est formel. La décision incombe au chef du Gouvernement donc au Premier Ministre : celui-ci demande à la Reine d’ordonner la suspension, la Reine suit la demande du Premier Ministre.

Le consentement des parlementaires n’est pas nécessaire.

Pendant que le Parlement est suspendu, le Gouvernement continue de travailler. Et il est évident que plus longue est la période de suspension plus importante est l’atteinte au pouvoir du Parlement qui ne peut agir sur la façon dont le pays est gouverné. 

Et c’est bien ce qui explique la fronde actuelle contre Boris Johnson.

Car la suspension décidée non seulement est inhabituellement longue (plus d’un mois) mais elle se produit à un moment crucial, l’arrivée prochaine de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (prévue le 31 octobre prochain).

Dans sa lettre adressée aux députés pour leur faire part de sa décision de mettre fin à la session en cours (2), Boris Johnson justifie sa décision de suspendre les travaux du Parlement sans attendre par le fait que la session parlementaire a été très longue et a assez duré et qu’il est nécessaire de passer à un nouveau programme législatif. Il rappelle également dans cette lettre qu’il recherche un accord avec l’Union européenne et estime que le Parlement aura le temps de se prononcer après le Conseil européen des 17 et 18 octobre qui devra constater s’il existe, ou non, un accord avec le Gouvernement Johnson.

Ces arguments sont rejetés par une coalition hétéroclite, à première vue, de parlementaires libéraux, travaillistes et conservateurs hostiles au no deal (mais pas forcément au Brexit) et de « remainers » (qui ne veulent pas de Brexit). Ils dénoncent une instrumentalisation de la prérogative royale pour contourner l’opposition des parlementaires au no deal.

Que peut-il se passer à présent?

La rentrée parlementaire a lieu le 3 septembre. Plusieurs scenarii peuvent être envisagés.


      I - Présentation d’une motion de défiance visant à renverser le Gouvernement Johnson

         1 - La motion de défiance est votée. Le Gouvernement est renversé. L’opposition a 14 jours pour former un nouveau Gouvernement (très improbable, si le candidat à la fonction de Premier Ministre est Jeremy Corbyn le leader travailliste).
          L’opposition réussit à former un Gouvernement. Ce Gouvernement demandera un report de la date de sortie de l’UE. Et sans doute convoquera de nouvelles élections générales. Dans ce cas, les négociations avec l’UE pourraient se prolonger   si l’UE accorde le report (vraisemblable compte tenu du changement de contexte politique au Royaume-Uni).
          L’opposition échoue à former un Gouvernement. Boris Johnson doit convoquer des élections générales. Il peut choir la date. Rien ne l’empêche de fixer une date postérieure au 31 octobre. Le Brexit sans accord peut très bien alors se produire par simple survenance de la date fixée pour le retrait.

         2 - La motion de défiance n’est pas votée : les travaux du Parlement sont suspendus le 9 septembre. Boris Johnson obtient un nouvel accord avec l’UE (invraisemblable, sauf modifications à la marge).
         Les députés le votent lors de la nouvelle session parlementaire: sortie avec accord.
         Les députés le rejettent : no deal.
         Boris Johnson n’obtient pas de nouvel accord : no deal

      II - Pas de présentation d’une motion de défiance : même scenario que dans le cas I-2

      III - Il existe également la possibilité pour les députés de reprendre le contrôle de l’ordre du jour  (qui est en général fixé par le Gouvernement)  afin de voter une loi pour empêcher le no deal et obligeant Boris Johnson à demander un report supplémentaire à l’UE si un accord rapide n’est pas possible, comme les députés l’avaient fait précédemment avec Theresa May. Mais compte tenu du peu de temps dont ils disposent avant la clôture de la session, il est très douteux qu’ils y parviennent. C’est pourquoi l’option de la motion de censure reste la plus vraisemblable.

      IV - Enfin, des recours juridictionnels sont en cours pour annuler la suspension.

 

Il faut aussi compter avec la pression populaire: manifestations, prises de position virulentes et pétition monstre (3) démontrent une fois de plus que le Brexit, très loin d’être la formalité qu’avaient annoncé mensongèrement ses promoteurs, n’a pas fini de provoquer d’importantes turbulences au Royaume-Uni. 

 


 

1 - La pratique de la suspension de la session parlementaire est expliquée sur le site du Parlement britannique.  Voir par exemple : Prorogation: Modern Practice

2 – Lettre du 28 août 2019

3 - Petition Do not prorogue Parliament

 

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