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Signes religieux au travail, le cas des collectivités publiques




cour de jusitce de l'union européenne

Une audience de la Cour de justice chambre à cinq juges
Source : Cour de Justice de l’Union Européenne

 

 

Dans la série d’affaires consacrées à l’interdiction des signes visibles de convictions politiques, religieuses ou philosophiques sur le lieu de travail, il en est une qui vient de faire l’objet de conclusions de l’Avocat général auprès de la Cour de Justice de l’Union Européenne le 4 mai 2023 (Conclusions de l’avocat général, affaire C-148/22, Commune d’Ans). L'employeur est cette fois, une collectivité publique.


Le litige met aux prises la commune belge d’Ans et une de ses employées qui s’est vue interdire de porter le foulard islamique sur son lieu de travail. La commune a ensuite modifié son règlement de travail, en imposant dorénavant à ses employés de respecter une stricte neutralité, interdisant toute forme de prosélytisme et bannissant le port de signes ostensibles d’appartenance idéologique ou religieuse. L’employée a saisi le tribunal du travail de Liège, estimant qu’il y a atteinte à sa liberté de religion.

Le tribunal a décidé de surseoir à statuer pour poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne. Il s’interroge sur la conformité du règlement de la commune à la directive « antidiscrimination » en matière d'emploi et de travail (Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail) :
-La directive permet-elle à une administration publique d’organiser un environnement administratif totalement neutre et, partant, d’interdire le port de signes convictionnels à l’ensemble des membres du personnel, qu’ils soient ou non en contact direct avec le public ?
-Est-ce que le fait que cette interdiction apparemment neutre semble toucher une majorité de femmes n’est-il pas une discrimination déguisée en fonction du genre ?

 

Il faut remarquer que le gouvernement français a présenté des observations écrites, signe de l’importance que revêt cette affaire pour un pays qui a fait de la laïcité (= neutralité du service public) un principe constitutionnel.
 

Dans ses conclusions, l’avocat général Anthony Collins constate tout d’abord que le règlement de travail de la commune d’Ans relève bien du champ d’application de la directive.
 

Il remarque ensuite, en préliminaire, qu’elle instaure un cadre general, ce qui laisse une marge d’appréciation aux États membres et que celle-ci est d’autant plus étendue que des principes susceptibles de relever de leur identité nationale sont en jeu. Le fait de prévoir des restrictions à la liberté des agents du secteur public de manifester leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses dans l’exercice de leurs fonctions peut être d’une importance telle dans certains États membres qu’il relève de l’identité nationale inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles (points 45 et 46). Ce faisant, l’Avocat général se réfère explicitement à l’avis émis par le gouvernement français et rappelle le principe selon lequel l’impact du droit communautaire peut être limité lorsqu’il se confronte à l’identité nationale (dans des domaines jugés essentiels pour les États membres). C’est aussi notamment, la position du Conseil constitutionnel en France.
 

Le contexte étant posé, l’Avocat général passe à l’examen des questions plus spécifiques posées par le tribunal belge.
 

Il estime tout d’abord que l’interdiction ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou les convictions, au sens de la directive, dès lors que cette interdiction est appliquée de manière générale et indifférenciée (point 56). En revanche, bien qu’elle soit apparemment neutre, cette interdiction touche de fait davantage une certaine catégorie de personnes, comme les agents de la commune observant des préceptes religieux leur imposant une certaine tenue vestimentaire et notamment les travailleurs féminins qui portent un foulard en raison de leur foi musulmane. Il peut donc s‘agir d’une discrimination indirecte, point qu’il revient à la juridiction belge d’apprécier.  Ce qu’il doit faire en appliquant la jurisprudence existante de la CJUE selon laquelle il n’y pas de discrimination indirecte si elle est objectivement justifiée par un objectif légitime et si les moyens mis en œuvre pour réaliser ce dernier étaient appropriés et nécessaires (60). En l’espèce, la volonté de mener une politique de neutralité politique, philosophique et religieuse au sein d’une entité publique peut constituer un objectif légitime, notamment en vue de respecter les convictions philosophiques et religieuses des citoyens, ainsi que la nécessité d’un traitement égalitaire et non discriminatoire des usagers du service public.
 

Mais le choix fait par la commune de mettre en place un espace exclusivement neutre doit répondre à un besoin véritable, ce que la commune doit démontrer. Or, il n’existe pas apparemment en Belgique d’obligation législative ou constitutionnelle imposant le respect d’une neutralité exclusive aux agents d’une commune. A défaut, le tribunal devra vérifier si le choix de la commune se justifie par des éléments d’ordre factuel. Sur ce pont également, l’Avocat général émet des réserves et s’interroge en observant que d’autres communes belges autorisent le port de signes de convictions notamment philosophiques ou religieuses par le personnel de leur administration sur le lieu de travail. Et s’ »Il ne saurait être exclu qu’une telle solution ne soit pas transposable à la Commune en raison, par exemple, de l’existence éventuelle, sur son territoire, de vives tensions communautaires ou de graves problèmes sociaux ou, au sein de sa propre administration, d’actes de prosélytisme ou d’un risque concret de conflits entre agents liés à de telles convictions » ce sera à la commune d’Ans d’en apporter la preuve (73).

 

 

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