Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

Le Sénat français rejette la ratification du CETA,2

 

Pourquoi le Sénat a-t-il refusé de ratifier le CETA ? (suite de l'article)

 

Un désaveu politique

Pour le Sénat (position de sa Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées), il faut en finir avec la « naïveté coupable » de la Commission européenne qui négocierait des accords commerciaux dans lesquels les intérêts des européens ne seraient pas suffisamment pris en compte. Le vote du Sénat se veut un « signal fort » envoyé au Gouvernement et à l’Union européenne alors que les agriculteurs « n'ont cessé de faire part, au cours des dernières semaines, de leur grande détresse » ( Projet de loi autorisant la ratification de l'accord économique et commercial global entre l'UE et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part », Rapport n° 424, déposé le 13 mars 2024 ). La fronde du Sénat s’explique aussi par la décision d’appliquer le CETA partiellement alors que les parlements ne se sont pas tous prononcés. Une décision incontestable sur le plan juridique, reconnait le Senat, mais peu démocratique : « Au regard de la sensibilité des domaines couverts, il eut été préférable d'attendre une éventuelle ratification par l'ensemble des États-membres avant que celui-ci ne puisse commencer à produire des effets » (rapport d’information op.cité). En somme, le Sénat n’apprécie guère que la volonté de la Commission européenne et de la France de privilégier une application rapide du CETA l’oblige à accepter un « fait accompli ».

 

Un bilan critiqué par le Senat…mais des arguments pas toujours probants

Le bilan de l’application du CETA montre, selon le Sénat, que « les bénéfices macroéconomiques restent limités et ne contrebalancent pas les risques qu'il fait peser sur l'agriculture française ».  
Car, entre la réalité et les risques, il y a un hiatus : les chiffres sont là et le Sénat ne peut les nier. Les échanges de marchandises et de services entre l’Union européenne et le Canada ont crû de respectivement 66 % et 46 % entre 2016 et 2022. Et les exportations européennes vers le Canada ont progressé de 47 % sur la période (surtout : produits manufacturés, produits chimiques, denrées alimentaires et les produits d’origine animale.). Pour le Canada, l’augmentation de ses exportations vers l’UE est de 46,4 % (essentiellement minerais, pierres et métaux précieux, huiles et combustibles minéraux). Pour les produits alimentaires et agricoles, les exportations européennes ont augmenté de 62 % (52 % pour le Canada).
Mais selon les prévisions, nous dit le Senat, la mise en œuvre du CETA se traduira par une progression plus importante des importations de la France en provenance du Canada (+ 40,4 %) que des exportations françaises vers le Canada (+ 13,74%) en 2035. Ce ne serait donc pas un bon accord…à l’avenir…

 

Des problèmes de normes de production plus préoccupants

Les problèmes majeurs concernent la réciprocité (en l’occurrence, l’absence de réciprocité) des normes de production, particulièrement sensible dans le domaine de l’agriculture, secteur qui affecte la sécurité alimentaire, la santé des consommateurs, sans parler de la protection de l’environnement.
 

Il en est ainsi de la concurrence « déloyale » qui pénalise les éleveurs européens en raison des différences « fondamentales » entre les modèles d’élevage canadien et français et européen. Le CETA ne prévoit pas non plus (hormis quelques exceptions) de « clauses miroirs » qui mettraient à égalité les agriculteurs européens et canadiens en termes de contraintes à respecter (ex : utilisation de pesticides). Par exemple, l’interdiction de l’usage de l’acide peracétique pour désinfecter les carcasses est actuellement une des principales raisons pour lesquelles les producteurs canadiens ne se sont pas tournés vers le marché européen. Si l’UE cédait sur ce point, un obstacle important aux exportations canadiennes serait levé. Or, on l'a vu, le Sénat n'est pas optimiste sur l'application de l'accord à l'avenir: il  redoute que les règles européennes soient allégées au bénéfice des importations, et, à terme, un nivellement par le bas.
 

Enfin, il met en cause l’efficacité des contrôles sur le respect des normes, tant du côté européen que du côté canadien. Par exemple, le CETA prévoit la baisse du taux de contrôle physique sur les produits animaux (il passe de 20 % à 10 % des lots dans les postes d’inspection aux frontières de l’UE). Autre exemple : une des quelques mesures miroir, celle qui interdit les antibiotiques activateurs de croissance (et qui entrera en vigueur en 2026) repose sur une attestation sur l’honneur, et sans contrôle dédié.

 

Mais une analyse parfois déconcertante

Si ces arguments paraissent convaincants, l'analyse du CETA qui a conduit au rejet de la ratification est, il faut le dire, parfois déconcertante. Car, et la Commission auteur du rapport a du en convenir elle-même, globalement en 7 ans d’application, les effets du CETA sont positifs. L'agriculture ne représente que 20 % de l'accord mais c’est au nom de l’agriculture que le CETA est rejeté par les sénateurs. Et encore ce rejet n’est-il pas motivé par des chiffres mais par des craintes pour l’avenir ! (la fameuse phrase : « les bénéfices macroéconomiques restent limités et ne contrebalancent pas les risques qu'il fait peser sur l'agriculture française »).  "L’excédent commercial agricole a été multiplié par trois depuis 2017, passant de 200 à 600 millions d'euros", a rappelé lors du débat le Sénateur Jean-Baptiste Lemoyne. Le Sénateur Claude Malhuret a remarqué pour sa part que « les craintes concernant l'importation massive de viande ne se sont pas réalisées : on importe 52 tonnes de viande bovine depuis le Canada, c'est peu ! Les exploitations canadiennes ne sont pas équipées pour fournir le marché de l'Union européenne. En revanche, nos filières viticole, lait et fromages ont des bilans excellents ».

 

ET après ?

L’Assemblée nationale votera dans le même sens que le Senat, c’est probable, puisque la majorité nécessaire à la ratification ne sera certainement pas réunie.

 

Quelles sont les conséquences d’un refus de ratification par le Parlement ?

« En principe » « le vote négatif d'un Parlement national sur le CETA ne resterait pas sans effet » : c’est la Commission européenne qui le précise

Citons sa mise au point : « La déclaration n° 20 du Conseil de l’UE, adoptée en parallèle de l’adoption de la décision par le Conseil de l’UE de signer le CETA est très claire". À partir du moment où le processus de ratification du CETA dans un État membre de l’UE aboutit à un rejet du CETA et que l’État membre en question le notifie au Conseil, «l’application provisoire devra être et sera dénoncée».
Ce qui veut dire que, non seulement la partie du CETA qui concerne la protection des investissements étrangers, qui n’est pas appliquée aujourd’hui, ne le sera jamais, mais que la partie qui relève de la compétence européenne et qui est appliquée aujourd’hui de manière provisoire, suite au vote favorable du Conseil et du Parlement européen, tombera également ».

 

Mais la Commission précise : « Pour être tout à fait complet, il faut noter que la déclaration du Conseil ne dit pas qu’un vote négatif d’un parlement national entraîne automatiquement la dénonciation de l’application provisoire par le Conseil. Le Conseil doit pour cela être saisi formellement par l’État membre qui estime être dans l’incapacité définitive de ratifier le CETA. Cela ne préjuge pas de ce qui pourrait se passer après un vote négatif d’un parlement national, le Conseil ne s’immisce pas dans les affaires intérieures des États membres. La déclaration du Conseil spécifie par ailleurs qu’une fois saisi, celui-ci prendra les dispositions nécessaires à la dénonciation de l’application provisoire du CETA conformément aux procédures de l’UE ». Autrement dit, tant que l’Etat ne saisit pas formellement le Conseil de l’impossibilité de ratifier, le traité peut continuer à s’appliquer. Ce qui est justifié par l’impossibilité pour l’UE de s’immiscer dans les affaires internes d’un Etat.Il y a d'ailleurs un précédent. Le refus de la ratification du CETA par le parlement chypriote, le 1er août 2020, n'a pas été notifié par ce pays. « Tout se passe donc comme si un rejet de ratification n'emportait aucune conséquence, si ce n'est de reporter la ratification à une date ultérieure » (Avis n° 410 (2023-2024), déposé le 12 mars 2024)
 

Est-ce que l’absence de notification est juridiquement valide ? La Commission européenne répond qu’elle n’en sait rien, et qu’il serait nécessaire que la Cour de justice de l’Union européenne se prononce.
Faute de réponse juridique claire, l’Etat aurait donc le choix de décider, ou pas, de faire une nouvelle tentative de ratification. Ou tout simplement de s’abstenir de notifier formellement l’absence de ratification au Conseil. Ce qui peut durer longtemps. Mais on imagine les procès (justifiés) en déni de démocratie qu’une telle attitude susciterait.

 

 

 

 

 

 

Les PLus

 

Les PLus

 

 

Jurisprudence

 

  • Commentaires de décisions de la Cour de Justice de l'Union Européenne et d'arrêts du Tribunal,
  • Conclusions des avocats généraux

 

 

Archives de l'ancien site

Articles d'actualité européenne

2001 / 04 - 2013

Brèves d'information

2009 / 04 - 2013

 

ME JOINDRE