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Textile chinois, que peut faire l’Union européenne ?

 

Depuis le 1er janvier 2005, date de la fin du système des quotas d’importations textiles prévus par l’accord multifibres, le marché de l’Union européenne a connu un déferlement de produits textiles en provenance de Chine. Face au mécontentement des industriels du secteur et aux pressions de certains états membres, dont la France, la Commission européenne a enfin décidé de réagir. Sa tâche n’est pas simple, car des intérêts divergents s’expriment.

 

Une arrivée massive des textiles chinois sur le marché de l'Union européenne

Les chiffres diffèrent, mais ils montrent cependant une incontestable et importante augmentation des importations de textiles chinois dans l’Union européenne.

Le 08/04/2005, un communiqué d’Euratex, la fédération européenne des professionnels du secteur textile, dénonçait la déferlante des produits chinois favorisée par des pratiques déloyales assimilables à du dumping (1). Elle faisait état des chiffres suivants, fondés, rappelait-elle, sur les statistiques officielles chinoises (2): en janvier- février les exportations textiles de la Chine avaient augmenté de 73% par rapport à ce qu’elles étaient un an avant. Par type de produits, les chiffres étaient: + 893% pour les pull overs, 210% pour les pantalons, 542% pour les robes, et 1400% pour les bas et collants avec des baisses de prix respectivement de 37%, 8% , 38% et 57%.

Selon Euratex, l’industrie textile de l’Union européenne perdait près de 1000 emplois par jour depuis le début de l’année

Dans ce communiqué très alarmant, Euratex appelait la Commission européenne à prendre des mesures de sauvegarde immédiates pour « arrêter l’hémorragie », sous peine de voir des centaines d’entreprises fermer leurs portes et la disparition de plus d’un million d’emplois.

 

La Commission européenne sommée de réagir

La Commission qui négocie les accords commerciaux sur la base du mandat qui lui est donné par le Conseil, est tenue de respecter les règles prévues par ces accords, en l’espèce, celles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

Les modalités de sont intervention ont été rappelées dans un règlement adopté par le Conseil des ministres de l’Union le 13/12/2004. Conformément aux engagements pris dans le cadre de l’OMC, ce règlement abolit, à partir du 01/01/2005 les quotas sur les importations de produits textiles en provenance d’états membres de l’OMC. Il prévoit un système de surveillance statistique afin de détecter rapidement les perturbations importantes des marchés qui pourraient résulter d’un afflux massif de produits importés et de donner à l’Union européenne les éléments d’appréciation pour prendre des mesures correctives (allant du dialogue avec les pays exportateurs jusqu’à l’application de la clause de sauvegarde autorisée par l’OMC jusqu’en 2008 et qui permet de restreindre les importations).

Or, les industries textiles par la voie de leur fédération européenne, Euratex, estiment que ce système de surveillance statistique n’a pas fonctionné en raison , en premier lieu, des carences des états membres. Mis en cause, certains de ceux-ci , dont la France, se sont tournés vers la Commission à qui ils reprochent la timidité de sa réaction , reproche qui lui est d’ailleurs également fait par Euratex. Dans ce « sauve-qui-peut » général, la Commission fait donc figure de principale accusée.

 

Vers des mesures de sauvegarde ? La Commission « se hâte lentement » !

Le 06/04/2005 , la Commission européenne a défini le cadre pour l'application de la clause de sauvegarde textile spécifique contre la Chine. Les lignes directrices définissent des niveaux d’alerte par produits permettant à la Commission de mesurer la désorganisation du marché provoquée par l’arrivée des textiles chinois et de lancer des enquêtes pouvant être suivies par des mesures de sauvegarde. Néanmoins celles-ci ne peuvent être prises qu’après des discussions informelles avec la Chine. Les enquêtes sont en effet le début d’une période de 21 jours durant laquelle chaque partie peut présenter ses arguments suivie de 60 jours pour compléter l’enquête et les discussions. Après quoi, faute d’accord, l’Union européenne peut limiter la croissance des importations chinoises pour les catégories de produits concernées. Aiguillonnée semble-t-il par la conférence de presse donnée par Euratex le 8/04/2005 qui demandait des enquêtes immédiates, la Commission européenne a immédiatement mis en place un groupe de fonctionnaires pour effectuer le travail d'enquête nécessaire .

Le 24/04/2005, à la suite de la réception des statistiques d’importation des états membres pour le premier trimestre 2005, Peter Mandelson, commissaire européen chargé du dossier annonce le lancement d’une enquête pour neuf catégories de produits. Elle doit être achevées au plus tard le 29 juin 2005 ( délai maximum de 60 jours à partir la date de publication de l’avis d’ouverture de l’enquête au Journal officiel de l'Union européenne le 29/04/2005) (2). Toutes les parties intéressées peuvent faire connaître leur point de vue par écrit et fournir des renseignements, dans les trois semaines qui suivent la publication au JOUE . L’avis énumère les catégories de produits concernés par l’enquête (3).

La Commission a également rendues publiques sur la page de son site consacrée aux importations de textiles chinois (4) les statistiques du 1er trimestre 2005 relatives aux importations de textiles chinois dans l’Union, avec l’indication des niveaux d’alerte pour les catégories de produits sur lesquelles porte l’enquête (5).

Cette procédure a déclenché les foudres de Pékin qui a accusé l'Union européenne de violer les principes de base de libre échange, et de compromettre à terme les relations commerciales sino-européennes.

 

Combien faut-il vendre de chemises pour acheter un airbus?

La Commission européenne semble souffler le chaud et le froid par la voix de M.Mandelson qui, après avoir tenté de rassurer les industriels du textile en leur laissant espérer une protection d’ici deux mois, à la fin de l’enquête, a également exclu la perspective d’une guerre commerciale avec la Chine. Selon M.Mandelson, les enquêtes futures doivent être axées sur "les dommages possibles pour l'industrie européenne et l'impact probable sur les producteurs de pays en développement vulnérables" et les voisins méditerranéens de l'UE, mais aussi sur "l'impact positif" que la nouvelle donne "va avoir pour les consommateurs", ajoutant : "Il n'est pas question de revenir en arrière à l'ancien système des quotas. Nous ne pourrions justifier des mesures de sauvegarde temporaires qu'en dernier recours, si des distorsions commerciales durables et sur une large échelle étaient clairement démontrées » (5).

La prudence de la Commission s’explique par la nécessité où elle se trouve de ménager des intérêts différents, et reflète les désaccords existants sur la conduite à tenir. Certains états membres (comme la Suède) dénoncent les tendances protectionnistes de leurs partenaires qui à l’instar de la France et de l’Italie plaident pour la mise en œuvre de sauvegardes. Mais le clivage passe surtout entre pays ayant une industrie textile et pays où ce secteur occupe une place marginale. La Chine a su jouer sur ces contradictions en rappelant à ses interlocuteurs européens que pour acheter des Airbus elle devait trouver des débouchés à son abondante production textile. Ce faisant, elle rappelle que sur l’échiquier du commerce mondial, les atouts des pays riches et de ceux qui tentent de le devenir ne sont pas les mêmes. Et le dilemme qui en découle : les premiers peuvent-ils verrouiller le commerce avec les seconds , faisant obstacle à leur développement, au motif qu’ils concurrencent leurs industries de main-d’œuvre ?

 

La Commission hausse le ton, la Chine fait la sourde oreille

M.Mandelson, a annoncé le 17/5/2005, qu’il proposait d’ouvrir une procédure d’urgence pour commencer la phase de consultation formelle avec la Chine . Une fois la demande de consultation reçue, la Chine dispose d’un délai de quinze jours pour prendre des mesures des restriction de ses exportations sur la base du niveau des volumes d’exportation constatés dans les 14 mois précédant la demande. Si elle ne le fait pas, la Commission peut à titre transitoire, et après consultation du « Comité textile » du Conseil, limiter la croissance des exportations au même niveau. La procédure de consultation durant 90 jours, ce n’est qu’à l’issue de celle-ci que la Commission pourrait être conduite à prendre des mesures de sauvegarde si aucune solution n’avait été trouvée. Cette décision ne pourrait être prise qu'après approbation par les états membres et les mesures de sauvegarde ne seraient possibles que jusqu’à fin 2008 (passée cette date, les règles du commerce international prévoient leur disparition).

Mais alors que le délai de quinze jours dont elle disposait n'avait pas encore expiré, la Chine a annoncé, le 30/05/2005, qu'elle n'appliquerait pas les taxes à l'exportation des 81 produits textiles qu'elle avait dans un premier temps annoncées en réponse aux pressions des Etats-Unis et de l'Union européenne.

 

Des quotas problématiques

Après ces péripéties et ces effets de manche, un accord amiable est finalement intervenu le 10/06/2005, entre l’Union européenne et la Chine afin de limiter les importations de textiles en provenance de ce pays (7). Cet accord prévoit, durant une période transitoire allant du 11 juin 2005 à fin 2007, de limiter la hausse des exportations chinoises vers l’Union européenne à 8 à 12,5% par an, la libéralisation devant être opérée courant 2008 . Dix catégories de produits sont concernées : catégories 2 (tissus de coton), 4 (T-shirts), 5 (pull-overs), 6 (pantalons), 7 (chemisiers), 20 (linge de lit), 26 (robes), 31 (soutiens-gorge et bustiers), l39 (linge de table et de cuisine) et 115 (fils de lin ou de ramie) (8). L’Union européenne a accepté pour sa part de stopper ses enquêtes sur les exportations de produits chinois.

Hélas ! Cet accord laborieusement négocié est à présent contesté. Après les industriels du textile qui réclamaient à hauts cris une limitation des importations en provenance de Chine, voilà que les distributeurs réclament…le contraire.. Ceux-ci dénoncent la rétention en douane de cargaisons entières de pantalons, pull-overs, chemisiers et autres produits textiles en provenance de Chine et dûment commandés et payés mais qui appartiennent à des catégories de produits pour lesquels les quotas ont été d’ores et déjà atteints pour cette année. Selon le commissaire européen chargé du commerce, M.Mandelson, cette situation est due au fait que les importateurs, pariant sur le fait que des quotas seraient instaurés, ont cherché à anticiper pour les contourner, ce que réfutent bien entendu les intéressés en rappelant que les commandes ont été passées il y a plusieurs mois.

Face au spectre de la pénurie de pantalons et de pull overs agité par les distributeurs, le ministre français délégué à l’industrie, M.Français Loos a réagi en les « invitant », le 10 août, à « se tourner vers l'industrie textile euro-méditerranéenne", ce que devrait les encourager à faire le renchérissement des produits chinois du à l’application du système des quotas (9). Pour la France, comme pour l’Italie et l’Espagne, trois pays qui ont encore une forte industrie du textile, il est en effet nécessaire de garder des quotas, même au prix d’un assouplissement. Mais cette opinion n’est pas partagée par tous les états membres de l’Union et la contestation des quotas grandit également chez les gouvernements. Dans une tribune du 18/08/2005, les ministres néerlandais du commerce extérieur, danois de l'économie, suédois de l'industrie, et finlandais du commerce extérieur dénonçaient l’existence des quotas qui reflètent, selon eux, une vision « dépassée » du commerce mondial. Les quotas, affirmaient-ils , ne pourront sauver ce qu’il reste de l'industrie textile, et menacent la survie de nombreuses entreprises de distribution, et, partant, de nombreux emplois en Europe. Ce front du refus a vu plus récemment le ralliement de l’Allemagne, pays dans lequel des distributeurs mécontents ont intenté des actions en justice.

La Commission européenne est donc confrontée à un véritable dilemne.

Sur le plan diplomatique, la situation a tourné à la farce, les européens étant contraints de quémander un assouplissement des règles qu’ils avaient imposées à la Chine il y a deux mois à grands renfort de pressions. Enfin, le 5/09/2005, les négociateurs de l’Union européenne et de la Chine sont parvenus à un accord pour régler le problème des quotas d’importations de textiles chinois dans l’Union. Cet accord devrait permettre de débloquer les produits textiles actuellement en attente. De façon prévisible, il a été décidé d’anticiper sur les quotas de 2006 en déduisant de ceux-ci une partie des marchandises actuellement bloquées par les douanes. Malgré les dissensions au Conseil, l’accord négocié par la Commission a été avalisé par les états membres le 07/09/2205. Il restait à formaliser cet accord dans un règlement communautaire pour pouvoir enfin débloquer les marchandises en attente. C’est chose faite : le 12/09, La Commission européenne a annoncé qu’elle venait d’adopter le règlement qui permettra de libérer à partir du 14 les produits textiles chinois bloqués, après sa publication au Journal Officiel de l’Union européenne le 13 (communiqué IP/05/1124 du 12/09/2005 : « European Commission adopts regulation to clear blocked Chinese textile imports”)



 

21/04/2005, actualisé au 12/09/2005



Pour aller plus loin:

Sites de professionnels du textile :
www.euratex.org
www.textile.fr

Site de l’OMC:
www.wto.org


Avis de clôture d'une enquête de sauvegarde sur les importations de certains produits textiles originaires de la République de Chine

 

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