Du traité simplifié au traité européen modificatif, commentaire - partie 2
4 - Redéfinition des relations entre l’Union et les Etats membres
La répartition des compétences entre l’Union européenne et les états membres fera l’objet d’une rédaction plus restrictive que celle aujourd’hui en vigueur: « l'Union n'agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités » ( à comparer avec l’actuel article 5 du traité instituant la Communauté européenne : «La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité » ). Mais le traité modificatif sera moins explicite que ne l’était le traité constitutionnel européen qui donnait une liste des compétences exclusives de l’Union européenne et de celles qu’elle partageait avec les états. Il semble beaucoup plus inspiré par le souci d’empêcher un empiètement de l’Union sur les compétences des états, voire de permettre à ces derniers de « reprendre la main » (ce que confirment d’autres dispositions tel l’article qui devra être inséré dans l’actuel traité sur la Communauté européenne pour indiquer clairement que « les États membres exerceront à nouveau leur compétence dans la mesure où l'Union aura décidé de cesser d'exercer la sienne » et la déclaration concernant la délimitation des compétences qui permet au Conseil, sur l'initiative d'un ou de plusieurs de ses membres, de demander à la Commission de soumettre des propositions visant à abroger un acte législatif pour garantir les principes de proportionnalité et de subsidiarité) (4).
Certaines dispositions du traité modificatif introduiront un « système de freinage » : ainsi par exemple, à l'article 42 (totalisation des périodes d'assurance et exportation des prestations de sécurité sociale), un ajout sera fait au terme duquel si un état déclare qu'une proposition d'acte législatif porterait atteinte à des aspects importants de son système de sécurité sociale (par exemple en affectant l'équilibre financier) et demande au Conseil européen de se saisir de la question, la procédure législative sera suspendue. Si dans un délai de quatre mois, le Conseil européen n ‘a pas agi, en revoyant le projet au Conseil des ministres de l'Union pour qu’il reprenne son examen, la proposition sera abandonnée. Le même système est prévu en matière de droit pénal.
Ce retour du « national » est également illustré par le renforcement du rôle des parlements nationaux, qui va au delà de ce que prévoyait le traité constitutionnel européen, qui lui-même comportait des règles plus favorables à l’association des parlements que celles existantes dans les traités en vigueur.
D’une part, les parlements nationaux disposeront d’un délai plus long pour examiner des projets d'actes législatifs communautaires et donner un avis motivé sur le respect du principe de subsidiarité (huit semaines au lieu de six). Surtout, le traité modificatif prévoit un mécanisme de contrôle renforcé du respect de ce principe permettant aux parlements nationaux de faire éventuellement échec à des propositions de la Commission européenne qui ne respecteraient pas le principe de subsidiarité et empièteraient sur les compétences des états. Il faudra pour cela qu’une majorité des parlement nationaux présente un avis motivé au législateur européen et obtienne le soutien de 55% des états au Conseil et/ou d’une majorité d’eurodéputés.
Une autre illustration de cette implication plus marquée des parlements nationaux est la possibilité qui sera donnée à tout parlement national de s’opposer à une proposition législative communautaire en matière de droit de la famille.
5 - Réforme du fonctionnement des institutions
La nécessité de réformer le fonctionnement des institutions a été un des arguments avancés par les défenseurs du traité constitutionnel qui mettaient en avant le risque de blocage de l’Union européenne. Etaient notamment en cause les modalités de calcul de la majorité qualifiée au Conseil définies par le traité de Nice.
Cet aspect de la discussion du projet de traité modificatif a donc été particulièrement mis en lumière dans les medias d’autant plus qu’il a fait l’objet d’un véritable bras de fer avec la Pologne qui ne voulait pas renoncer au système de pondération des voix au Conseil qui lui assure une influence quasiment comparable à celle des « grands » états. Le blocage paraissait insurmontable...
Le traité modificatif prévoira le maintien de l’actuel système de vote à la majorité qualifiée (5) jusqu’au 30/10/2014, concession faire aux dirigeants polonais pour obtenir leur ralliement. Le système de vote à la double majorité tel qu’il avait été prévu dans le traité constitutionnel européen (6) entrera donc en vigueur le 01/11/2014, mais avec des limitations durant une période transitoire allant jusqu'au 31/03/2017, puisque, durant cette période, lorsqu'une décision devra être adoptée à la majorité qualifiée, un membre du Conseil pourra demander que la décision soit prise à la majorité qualifiée telle que définie actuellement. De plus, si un certains nombre d’états (7) indiquent leur opposition à l'adoption par le Conseil d'un acte à la majorité qualifiée, le Conseil devra délibérer pour tenter de trouver « une solution satisfaisante pour répondre à leurs préoccupations », ce qu’il convient de traduire par : le Conseil devra obtenir un consensus (8). Ces règles sont tout sauf simples et compréhensibles du « commun des mortels » (qui a parlé de rendre le fonctionnement de l’Union plus clair pour ses citoyens ?). Elles sont le résultat des tractations entre états et le prix à payer pour rallier les plus réticents au vote à la majorité qualifiée.
Les autres changements institutionnels repris par le traité modificatif concerneront la description d'ensemble du système institutionnel, et les articles spécifiques à chaque institution : Parlement européen (nouvelle composition et pouvoirs en hausse notamment grâce au maintien de l’extension du domaine de la codécision que réalisait le traité constitutionnel et à la nouvelle procédure budgétaire), Conseil européen (transformation en une institution et création de la fonction de Président avec mandat de deux ans et demi), le Conseil (introduction du système de vote à la double majorité), la Commission européenne (limitation du nombre de commissaires et renforcement du rôle de son président), le ministre des affaires étrangères de l'Union (création de la nouvelle fonction, dont la dénomination devient comme on l’a vu plus précédemment, Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité) et la Cour de justice.
Enfin, la possibilité de recourir à des coopérations renforcées afin de permettre à quelques états de progresser dans la voie de l’intégration sur des domaines non prévus par les traités, est préservée (un nombre minimum de neuf États sera nécessaire pour lancer une coopération renforcée).
4 - Déclaration concernant la délimitation des compétences: "La conférence souligne que, conformément au système de répartition des compétences entre l'Union et les États membres tel que prévu par le traité sur l'Union européenne, toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres. Lorsque les traités attribuent à l'Union une compétence partagée avec les États membres dans un domaine déterminé, les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l'Union n'a pas exercé la sienne ou a décidé de cesser de l'exercer. Ce dernier cas de figure peut se produire lorsque les institutions compétentes de l'Union décident d'abroger un acte législatif, en particulier en vue de mieux garantir le respect constant des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Sur l'initiative d'un ou de plusieurs de ses membres (représentants des États membres) et conformément à l'article 208, le Conseil peut demander à la Commission de soumettre des propositions visant à abroger un acte législatif. De même, les représentants des gouvernements des États membres, réunis en Conférence intergouvernementale, conformément à la procédure de révision ordinaire prévue à l'article [IV-443] du traité sur l'Union européenne, peuvent décider de modifier les traités, y compris en vue d'accroître ou de réduire les compétences attribuées à l'Union dans lesdits traités."
5 - Article 205, §2, du traité instituant la Communauté européenne
6 - Traité établissant une Constitution pour l’Europe, Article I-25 Définition de la majorité qualifiée au sein du Conseil européen et du Conseil : « 1. La majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d'entre eux et représentant des États membres réunissant au moins 65 % de la population de l'Union. Une minorité de blocage doit inclure au moins quatre membres du Conseil, faute de quoi la majorité qualifiée est réputée acquise.
2. Par dérogation au paragraphe 1, lorsque le Conseil ne statue pas sur proposition de la Commission ou du ministre des Affaires étrangères de l'Union, la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 72 % des membres du Conseil, représentant des États membres réunissant au moins 65 % de la population de l'Union.
3. Les paragraphes 1 et 2 s'appliquent au Conseil européen lorsqu'il statue à la majorité qualifiée.
4. Au sein du Conseil européen, son président et le président de la Commission ne prennent pas part au vote »
7 - Si ces états représentent au moins 75% de la population ou au moins 75% du nombre des États membres nécessaire pour constituer une minorité de blocage, durant la période transitoire. Les pourcentages passeront à au moins 55% de la population ou à au moins 55% du nombre d'États membres nécessaire pur constituer une minorité de blocage à partir du 01/04/2017.
8 - Conformément au mécanisme prévu dans le projet de décision qui figure dans la déclaration n° 5 annexée à l'acte final de la CIG de 2004.