Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

Quotas d'étudiants non résidents en Belgique: et la libre circulation dans tout cela?

 

 

De nombreux étudiants français se sont inscrits dans les universités belges (francophones)  apparemment plus accueillantes que les françaises dans certaines filières (absence de concours d'entrée et frais d’inscriptions modiques). A tel point que c’est à une véritable invasion gauloise que se sont trouvées confrontées lesdites universités. Le gouvernement de la Communauté francophone a alors publié un décret pour limiter le nombre d’étudiants non résidents (concrètement, le plus souvent, les étrangers, donc).

Merci à nos voisins de me fournir de quoi commenter! Si l’on se penche un instant sur cette histoire belge, force est de constater qu’elle pose quelques problèmes au regard du droit communautaire . Je rappelle pour ceux qui l’auraient oublié, notamment au Gouvernement belge, que la Belgique est membre de l’Union européenne, membre fondateur qui plus est. Mais apparemment en Belgique comme en France, et plus généralement dans les états membres à des degrés divers,  il arrive que les dirigeants fassent preuve de distraction à ce sujet. Jusqu’à ce que la Commission européenne et la Cour de Justice des Communautés européennes tapent sur les doigts des étourdis qui, tout penauds, doivent remettre leurs législations d’équerre.

Mais pourquoi la Communauté francophone belge se ferait-elle taper sur les doigts ? N’est-elle pas libre d’accueillir qui elle veut dans ses établissements supérieurs ? Eh bien non, si cela se traduit par une discrimination à l’encontre d’autres ressortissants de l’Union européenne. Sauf à avoir de bonnes raisons pour cela…

Rappel des faits. Constatant que certaines filières d’enseignement supérieur telles que médecine, vétérinaire et kinésithérapie, sont littéralement prises d’assaut par les étudiants étrangers (français principalement) qui les occupent dans des proportions allant parfois jusqu’à 86%,  la ministre de l'enseignement supérieur de la Communauté francophone, Madame Simonet, présente en février une proposition pour limiter à 30% le nombre d’étudiants étrangers dans ces filières. Applaudissements des uns au nom de la défense des droits des résidents belges, cris des autres au nom de la défense de la mobilité et de la liberté de circulation. Pour le gouvernement, il ne s’agit pas de protectionnisme mais d’éviter une pénurie de spécialistes dans certaines professions (les diplômés français préfèrent exercer en France) (1).

Le décret du 16 juin 2006 (2) instaurant des quotas d’étudiants non résidents a été attaqué par des étudiants français (et des enseignants) qui ont formé un recours en annulation assorti d’une demande de suspension devant la Cour d’arbitrage belge (cour constitutionnelle) (3).

La demande de suspension a été rejetée le 29/08, ce qui permet au décret d’entrer immédiatement en application. La sélection des étudiants non résidents admis à étudier en Belgique se fera…par tirage au sort devant huissier, dans la limite du quota de 30% fixé par le décret (4).

Mais la question de la légalité de celui-ci n’a pas été tranchée, puisque la demande en annulation n’a pas encore été examinée, la Cour s’étant simplement prononcée sur l’opportunité de suspendre ou non l’application du décret en attendant la décision au fond sur sa légalité.

Or, le décret n’est pas sans défauts de ce point de vue, semble-t-il.

Un des principes fondateurs sur lequel repose l’Union européenne est celui de la liberté de circulation des personnes qui signifie que tous les ressortissants de l’Union doivent pouvoir voyager, séjourner, travailler, étudier dans n’importe quel pays membre. Il suppose que les états ne fassent pas de discrimination entre leurs nationaux et les nationaux d’autres états membres, comme dispose l’article 12 du traité de la Communauté européenne . Une jurisprudence constante a précisé la portée de cette interdiction :  « Il y a violation du principe d'égalité de traitement lorsque deux catégories de personnes dont les situations juridiques et factuelles ne présentent pas de différences essentielles se voient appliquer un traitement différent ou lorsque des situations différentes sont traitées de manière identique » (5). Seules « des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi par le droit national » peuvent justifier une différence de traitement comme l’a rappelé la Cour  de justice des Communautés européennes dans une affaire qui opposait la Commission à l’Autriche.

Dans cet arrêt, la Cour a condamné l’Autriche pour manquement au droit communautaire en raison d’une disposition selon laquelle les étudiants titulaires de diplômes obtenus dans un autre pays membre n’étaient admis à un cursus que s'ils pouvaient  prouver qu'ils remplissaient les conditions d'accès au cursus dans le pays d’obtention de leur diplôme, ce qui concrètement, avait pour conséquence de leur rendre l’accès aux études plus difficile qu’aux étudiants autrichiens. L’Autriche, a jugé la Cour, a violé les articles 12, 149 (coopération entre les états en matière d’éducation et mobilité des étudiants) et 150 (politique communautaire de formation) du traité sur la Communauté européenne(6).

Dans une autre affaire, qui cette fois mettait aux prises la Commission européenne avec …la Belgique (déjà !), La Cour a condamné, en se fondant sur les mêmes articles,  la Belgique pour avoir imposé aux étudiants titulaires de diplômes secondaires obtenus dans d’autres états de l’Union qui souhaitaient commencer des études supérieures sur son territoire, une condition que n’avaient pas à remplir les titulaires de diplômes belges (7)

On le remarque, ni l’Autriche ni la Belgique n’avaient imposé des mesures visant directement les non nationaux. Plus « subtilement » ( ???), elles faisaient référence à des « titulaires de diplômes étrangers », ce qui pouvait aussi viser des autrichiens ou des belges. Mais il est évident que dans la très grande majorité des cas, les titulaires de diplômes étrangers sont…des étrangers. Et voilà comment les deux pays pratiquaient en toute bonne conscience une discrimination « indirecte contraire au principe de non-discrimination en raison de la nationalité contenu à l'article 12 CE », selon les termes de la Cour dans l’arrêt concernant l’Autriche. Et la Cour d’expliquer qu’on ne la dupe pas comme cela : « le principe d’égalité de traitement…prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat » (arrêt du 01/07/2004, point 28).

A la lecture de ces arrêts, le sort du décret de madame Simonet paraît bien incertain, car il restreint l’accès à certaines filières aux étudiants « non-résidents » dont il est prévisible qu’ils sont essentiellement des non belges et dans ce cas, le décret crée bien une « forme dissimulée de discrimination » contraire au droit communautaire. En cas de recours devant les instances communautaires (Commission, et Cour de Justice des Communautés si aucun accord n’est trouvé avec la Commission) , sa durée de vie semble donc limitée à moins que la ministre ne soit en mesure de démontrer qu’elle s’est fondée sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées, que la mesure prise se justifie par un objectif légitime (ex : d’ordre public) et qu’elle n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Ce que ni l’Autriche ni la Belgique n’ont réussi à faire dans les affaires évoquées plus haut.

La Commission européenne a été saisie d’une plainte par les étudiants français (décidément bien procéduriers et persévérants!) le 29/08. Madame Simonet avait clamé haut et fort sa satisfaction après la décision de la Cour d’arbitrage (8). Peut-être a-t-elle vendu la peau de l’ours un peu hâtivement.      

 

 06/09/2006 

 

Actualisations :

le 24/01/2007

La Commission européenne a annoncé, le 24/01/2007, qu'elle ouvrait une procédure d'infraction contre la Belgique . Celle-ci dispose de deux mois pour tenter de justifier le décret pris en démontrant qu'il ne s'agit pas d'une discrimination contraire au droit  communautaire, faute de quoi, la procédure pourait se poursuivre et conduire à la saisine de la Cour de Justice des Communautés européennes. A moins que la Belgique ne décide avant même que la procédure ne parvienne à son terme, de retirer les dispositions incriminées, comme elle l'avait déja fait en 2003...  

le 30/04/2008

L'affaire a été portée devant la Cour de Justice des Communautés Européennes qui a été saisie le 22/02/2008 d'une demande de décision préjudicielle par la Cour constitutionnelle de Belgique (aff.C-73/08, Nicolas Bressol e.a., Céline Chaverot e.a./ Gouvernement de la Communauté française)

Les questions préjudicielles sur lesquelles la Cour va devoir statuer sont les suivantes:

"Les articles 12, premier alinéa, et 18, paragraphe 1, du Traité instituant la Communauté européenne, lus en combinaison avec l'article 149, paragraphes 1 et 2, deuxième tiret, et avec l'article 150, paragraphe 2, troisième tiret, du même Traité doivent-ils être interprétés en ce sens que ces dispositions s'opposent à ce qu'une communauté autonome d'un État membre compétente pour l'enseignement supérieur, qui est confrontée à un afflux d'étudiants d'un État membre voisin dans plusieurs formations à caractère médical financées principalement par des deniers publics, à la suite d'une politique restrictive menée dans cet État voisin, prenne des mesures telles que celles inscrites dans le décret de la Communauté française, du 16 juin 2006, régulant le nombre d'étudiants dans certains cursus de premier cycle de l'enseignement supérieur, lorsque cette Communauté invoque des raisons valables pour affirmer que cette situation risque de peser excessivement sur les finances publiques et d'hypothéquer la qualité de l'enseignement dispensé ?

En va-t-il autrement, pour répondre à la question mentionnée sub 1, si cette Communauté démontre que cette situation a pour effet que trop peu d'étudiants résidant dans cette Communauté obtiennent leur diplôme pour qu'il y ait durablement en suffisance du personnel médical qualifié afin de garantir la qualité du régime de santé publique au sein de cette Communauté ?

En va-t-il autrement, pour répondre à la question mentionnée sub 1, si cette Communauté, compte tenu de l'article 149, premier alinéa, in fine, du Traité et de l'article 13.2, c), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui contient une obligation de standstill, opte pour le maintien d'un accès large et démocratique à un enseignement supérieur de qualité pour la population de cette Communauté ?

le 13/04/2010

Dans sa décision du 13/04/2010 La Cour de Justice de l’Union européenne censure la pratique des quotas d’étudiants non résidents dans les universités belges.  

 


1- Grâce au principe de reconnaissance mutuelle des diplômes entre les différents états de l’Union européenne

2- Le texte du décret peut être consulté sur le  site du Journal officiel belge (Moniteur belge) publié le 6 juillet 2006

3 - Cour d'arbitrage belge (devenue Cour constitutionnelle en 2007)

4 - Voir notamment l’article de la Libre Belgique du 05/09/2006 : « de douloureux tirages au sort »

5 - Tribunal de Première Instance,  20 janvier 2004, T-195/02, Briganti / Commission (point 41).

6 - CJCE, 7/07/2005, aff.C-147/03, Commission des Communautés européennes c. République d’Autriche

7 - CJCE,01/07/2004,aff.C-65/03, Commission des Communautés européennes c.Royaume de Belgique   

8 - Communiqué sur son site

 

 

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