Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

La construction communautaire s'enrichit (s'alourdit) d'un nouveau traité

 

Un nouveau sommet des chefs d'état et de gouvernement des pays de l'Union européenne s'est soldé par une série de décisions engageant l'avenir de l'Union.

Le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES) a été approuvé par les dix-sept pays de la zone euro et signé le 02 février. Il devrait entrer en vigueur en juillet 2012 après sa ratification dans les différents pays. Les ressources affectées au MES et au Fonds européen de stabilité financière (FESF) auquel il se substituera seront analysées lors du Conseil de mars et pourraient être revues si elles sont jugées insuffisantes. Autre décision: le refus d'étudier la proposition plus ou moins officieuse de placer la Grèce sous "tutelle" en affectant à cette tâche un commissaire européen qui aurait eu un droit de veto sur les décisions des autorités grecques dans le domaine budgétaire. La Grèce garde donc sa souveraineté ( souveraineté d'ailleurs relative compte tenu de sa dépendance financière de l'extérieur), mais elle est loin d'être tirée d'affaire à en juger par la difficulté des négociations actuelles sur le nouveau prêt qui doit lui être alloué pour lui éviter de faire défaut (1).

La décision la plus remarquée au terme du Sommet est évidemment l'accord sur le texte du traité intergouvernement pour une union économique renforcée dont le texte est à présent connu. Tentons une synthèse.

Le nouveau traité, assez court (une dizaine de pages), est appelé: "Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'Union économique et monétaire". Il débute par divers considérants dans lesquels les états parties se déclarent "conscients" (formule consacrée) qu'en tant qu'états membres de l'Union européenne, leurs politiques économiques sont une question d'intérêt commun (c'est déja la formulation de l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) et "désireux" de promouvoir les conditions d'une forte croissance économique ainsi qu'une coordination sans cesse plus étroite des politiques économiques dans la zone euro. Et c'est pourquoi, il est nécessaire de renforcer l'Union économique et monétaire par une nouvelle "architecture" (comprenons: autre que les traités déja existants) qui permettra d'aller plus loin dans l'application des principes et règles déja contenus dans ceux-ci : coordination des politiques économiques, surveillance et sanction des déficits excessifs, coordination et surveillance de la politique budgétaire. Et, pour mieux souligner la vocation du nouveau traité à rejoindre un jour le giron du droit communautaire, il est précisé qu'il sera "dès que possible" intégré au droit communautaire (dans les cinq ans, en principe, suivant son entrée en application, sous certaines conditions). C'était une demande du Parlement européen qui a donc été entendu. Les considérants suivants s'efforcent de clarifier la façon dont les procédures prévues par le "pacte" pour imposer la discipline budgétaire s'articulent avec celles prévues par les traités européens et les prérogatives de la Commission européenne (à laquelle les traités et les règlements adoptés sur leur fondement confèrent un rôle important dans la surveillance des budgets nationaux et dans la procédure de déficit excessifs). Parviennent-ils à cette clarification? Seule une analyse plus poussée du texte permettra de le dire (et encore faudra-t-il attendre de voir ce qu'il en est de l'application), mais tout cela ouvre bien des questions.

Le corps du traité comprend 16 articles répartis sur six titres.

1 - Objectif et portée

2 - Liens avec le droit de l'Union

Les dispositions du traité intergouvernemental ne doivent pas entrer en conflit avec les dispositions des traités européens ni leur faire obstacle. Par conséquent ses dispositions devront être interprétées en conformité avec le droit communautaire (traités et droit dérivé) y compris les dispositions relatives aux procédures législatives, et les compétences de l'Union dans le domaine de l'union économique devront être respectées. Là encore, ces précisions prennent en compte la demande du Parlement européen qui refusait que soit créée une "Union bis" intergouvernementale qui aurait court circuité l'Union européenne.

3 - Pacte budgétaire

Le traité impose aux budgets nationaux d'être en équilibre ou en excédent. Pour ce faire, le déficit ne doit pas excéder 0,5% du PIB (porté à 1% dans certains cas si l'endettemement est inférieur à 60% du PIB). Si un état déroge à cette règle, un mécanisme de correction s'enclenche automatiquement. Il oblige l'état concerné à prendre des mesures dont les principes directeurs sont proposés par la Commission et avalisés par le Conseil, pour revenir à l'équilibre dans un délai défini. Le texte dispose, sans plus de précisions, que ces procédures doivent respecter pleinement les prérogatives des parlements nationaux.

Cependant, que vaudrait une règle sans exception? Il y en a donc: un état pourra s'écarter temporairement de cet objectif dans des circonstances exceptionnelles (événement imprévu hors du controle de l'état et ayant un impact important sur ses finances publiques, période de grave récession économique suivant la définition donnée par le pacte de stabilité et de croissance révisé)

La règle d'équilibre budgétaire (ce que l'on appelle en France la "règle d'or") doit être incorporée dans le droit des états soit dans la Constitution soit dans une norme de niveau équivalent, au plus tard un an après l'entrée en vigueur du traité.

Si un état ne transpose pas cette règle d'or dans son ordre juridique dans le délai prévu, la Cour de justice de l'Union européenne sera compétente pour constater cette violation (comme elle fait déja en cas de violation du droit communautaire, en vertu de l'article 273 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Si sa décision n'est pas respectée, l'état en infraction pourra être sanctionné financièrement (amende représentant jusqu'à 0.1% du PIB). Cette amende sera versée au mécanisme européen de stabilité si le pays concerné appartient à la zone euro, sinon au budget de l'Union européenne.

La procédure pour déficit excessif sera plus automatique grâce à la règle de la majorité inversée: pour qu'elle ne s'applique pas à un état membre de la zone euro, il faudra que le Conseil des états membres de la zone euro vote à la majorité qualifiée contre cette application.

Le pacte budgétaire prévoit, de plus, que les pays ramènent leur dette à moins de 60% du PIB, mais il ne comprend pas de nouvelles mesures et pas de dispositif de sanction semblable à celui prévu en cas de deficit excessif.

4 - Coordination et convergence économiques

On se demande à quoi sert cette partie dans la mesure où les procédures de coordination et de surveillance mutuelle semblent reprendre ce qui est déja prévu dans les traités et développé dans les dernières législations adoptées (semestre européen, pacte sur l'euro plus, voir notamment les articles : La gouvernance économique européenne et  La gouvernance économique européenne sur les rails après de derniers amendements )

5 - Gouvernance

Outre l'Eurogroupe, des réunions des états de la zone euro et du Président de la Commission européenne auront lieu au moins deux fois par an. Tous les états de la zone euro y participeront et non pas les seuls signataires du traité intergouvernemental, ce qui avait été dans un premier temps envisagé. Un président du sommet de l'euro sera élu par les représentants des états à la majorité simple. Le Parlement européen sera informé par des rapports et le Président du Parlement européen pourra être invité et s'exprimer au sommet de la zone euro, ce qui est partiellement conforme à ce qu'avait demandé le Parlement (celui-ci souhaite en fait une invitation permanente au Sommet). On peut se demander à quoi sert cette multiplication d'instances? Et que devient l'Eurogroupe?

6 - Dispositions finales

Le traité doit être signé lors du Conseil européen des 1er et 2 mars et entrera en vigueur dès que 12 états au moins l'auront ratifié. On le voit, il n'est donc pas nécessaire que tous les pays l'adoptent pour qu'il s'applique ce qui ouvre clairement la voie à une Europe à deux vitesses. Il restera ouvert à la signature des pays qui ne l'auraient pas signé (Royaume-Uni et République tchèque, actuellement).

 

Et au dela de la discipline budgétaire, quelles perspectives communes?

La solidarité communautaire?

Elle est très mesurée! Seuls les états qui auront signé le traité intergouvernemental pourront bénéficier de l'aide du Mécanisme européen de stabilité (MES) comme le précise un des considérants du traité. La communautarisation de la dette, grâce à des obligations européennes, toujours en débat (voir les articles : Course contre la montre pour la zone euro et La Commission propose un renouveau économique de l'Union européenne ) serait une application concrète de cette solidarité, car elle serait la réponse commune des états membres aux marchés, sans compter qu'elle pourrait être efficace pour contrer la spéculation (en dissuadant tous ceux qui misent sur le défaut d'un état) et éviter la hausse effrénée des taux d'intérêt. Mais d'obligations européennes point... pour le moment.

La croissance et l'emploi?

Apparemment, les états ont entendu les critiques selon lesquelles une politique d'austérité qui ne soit pas contrebalancée par des initiatives pour la croissance et l'emploi sera mal acceptée par les populations, outre qu'elle n'a, aux yeux de nombreux économistes, aucun sens et est, de l'avis de certains, tout simplement suicidaire. La déclaration des états membres du Conseil européen "sur la voie d'un assainissement axé sur la croissance et d'une croissance favorable à l'emploi" est sensée répondre à ces critiques. Mais elle manque, pour le moins, de substance. Il faut faire davantage pour sortir l'Europe de la crise, peut-on lire, ce qui implique une modernisation des économies des dfférents états et un reforcement de la compétitivité garantissant la réusssite d'une stratégie active en faveur de l'emploi préservant la cohésion sociale. Au dela de ces généralités, que dit la déclaration? Rien de nouveau ni de concret si ce n'est que le Conseil européen de mars "fournira des orientations sur les politiques économiques et de l'emploi des États membres et mettra en particulier l'accent sur les moyens de tirer pleinement parti des possibilités qu'offre la croissance verte et d'accélérer les réformes structurelles pour accroître la compétitivité et créer davantage d'emplois. Dans ce cadre, il devra accorder une attention particulière aux divergences croissantes entre les situations économiques des États membres et aux conséquences sociales de la crise". C'est louable, mais la feuille de route fixée dans la stratégie Europe 2020 ne dit pas autre chose et pour le moment en reste là. Par exemple, l'idée d'émettre des obligations européennes pour financer des grands travaux d’infrastructures d’intérêt commun européen, est à l'étude mais peine à se concrétiser (voir la brève d'information: consultation sur le lancement d'emprunts obligataires pour financer des infrastructures d'intérêt général communautaire ). Au lieu d'initiatives permettant de relancer l'économie, c'est en fait l'attentisme qui prévaut du côté des états qui ne veulent pas augmenter le budget de l'Union pour financer des projets d'intérêt commun et lui donner les moyens des ambitions affichées dans la stratégie Europe 2020 et dans les discours incantatoires sur le retour à la croissance et le soutien à la compétitivité.

Pour le Parlement européen, le compte n'y est pas.

A la suite du débat sur les résultats du Sommet organisé le 02/02/2012, la Résolution votée le jour suivant par les eurodéputés et adoptée à une large majorité (443 voix pour, 124 contre, 75 abstentions) est critique. Si elle reconnaît que le traité a été amélioré par rapport à l'ébauche qui en avait été faite, en particulier en prévoyant davantage de contrôle parlementaire, en revanche, il s'avère "largement insuffisant" pour sortir de la crise, faute d'adoption de mesures positivies pour stimuler la croissance. La résolution insiste sur le fait que la reprise économique exige des mesures spécifiques pour promouvoir la solidarité, l'emploi et la croissance. Outre la communautarisation d'une partie de la dette des états et les emprunts obligataires pour le financement de projets, déja évoqués, les eurodéputés renouvellent leur demande de création d'une taxe sur les transactions financières au niveau européen.

En définitive, pourquoi ce traité?

Ses dispositions reprennent des dispositions des traités et du droit dérivé, en particulier, les législations récentes sur la gouvernance économique qu'elles "affinent". Etait-il pour cela nécessaire de recourir à un traité? Le Parlement européen, notamment, en doute.

Mais, sous l'impulsion de l' Allemagne, appuyée par la France, les états ont estimé qu'il fallait donner un signe aux marchés. Nul doute aussi que certains états espèrent, que l'Allemagne ne doutant plus de leur volonté de maitriser leurs dépenses, elle sera plus encline à accepter ce qu'elle refuse aujourd'hui, et notamment à augmenter la dotation du MES et à reconnaître une plus grande liberté d'action de la BCE pour intervenir sur les marchés. L'argument du signe donné aux marchés s'appuie sur l'observation que la fragilité de la zone euro, celle qui fait qu'elle est particulièrement attaquée, plus que d'autres pays plus endettés, vient de son incapacité à décider et à appliquer les règles communes, autrement dit de l'absence de "gouvernance". D'où le rappel solennel de règles communes dans un traité d'ailleurs qualifié de "pacte" (et dont on se demande s'il connaitra le sort du précédent pacte - le pacte de stabilité et de croissance - dont les règles furent plus d'une fois violées).

D'une utilité peu évidente, ce traité est aussi, dès le début, menacé dans son existence, du moins en France, car il y a une incertitude sur son adoption, si Nicolas Sarkozy n'est pas réélu. On sait que François Hollande, notamment a promis de renégocier le traité s'il est élu Président. En cas d'impossibilité de s'accorder (le plus probable est qu'il y aurait bien un accord), la France ne pourra pas empêcher l'entrée en vigueur du traité comme elle l'avait fait avec le traité constitutionnel. On l'a vu, cet écueil est supprimé par la disposition qui prévoit que la ratification de douze états est suffisante pour que le traité intergouvernemental s'applique. L'union budgétaire et économique se ferait alors sans la France qui, pour le coup, se trouvrerait dans le "second cercle" de l'euro.

Pour finir le dernier mot ira à la Confédération européenne des Syndicats qui, dans un communiqué publié peu de temps avant le sommet, rappelle justement : l"’Europe, ce sont des citoyens, des travailleurs, des jeunes, des retraités. L’approche ne peut pas seulement être gestionnaire et comptable" et prévient: "L’Europe ne doit pas devenir synonyme de sanctions, de politiques fiscales rigides mais de prospérité et offrir des perspectives d’avenir" (2).

 

03/02/2012

 

 


1 - Voir aussi l'article publié par Jean Quatremer, le 01/02/2012, dans son blog "les coulisses de Bruxelles" : La faillite de la Grèce, une idée effrayante qui fait son chemin

2 - CES: Nouveau traité : non à la discipline budgétaire sans relance durable

 

En savoir plus: documents

Treaty on stability, coordination and governance in the economic and monetary union

(Ces textes constituent un outil de documentation n'engageant pas la responsabilité des institutions européennes.Seule fait foi la législation européenne qui est publiée dans les éditions papier du Journal Officiel de l'Union Européenne).

 

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