Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

Quo vadis Europa ? (1)

 

En fin d’année, il est d’usage de faire un bilan et des pronostics pour l’année suivante. Je ne dérogerai pas à la règle : voici le moment venu de s’intéresser à un revenant, j’ai nommé : le traité constitutionnel européen. Difficile d' éluder le sujet car  la future présidence allemande de l’Union européenne a annoncé dans son programme qu’elle mettrait l’accent sur la poursuite du processus constitutionnel (2). Donc, où en est-on?

 

Le calendrier de la présidence allemande

D’ après ce que l’on sait du programme de la présidence allemande  (qui se déroulera du 1er janvier au 30 juin 2007),  celle-ci va procéder à des consultations avec les états membres sur la base desquelles elle présentera un rapport sur les différents scenarii possibles de relance du processus constitutionnel. Le rapport sera discuté lors du Conseil  européen de juin 2007. Avant cette date, le 25 mars plus précisément , les Chefs d’état et de gouvernement européens, les Présidents de la Commission et du Parlement commémoreront à Berlin le 50ème anniversaire des traités de Rome au cours d’une cérémonie qui sera également l’occasion de rappeler solennellement les valeurs et l’ambition de la construction européenne et de relancer une machine quelque peu grippée. 

 

Une tendance : pas de « détricotage » du traité constitutionnel européen

Quel compromis sera capable de rallier les suffrages de tous les états ? Comment rapprocher les positions des 16 états ayant ratifié le traité constitutionnel, des deux l’ayant rejeté, et des 7 qui ont suspendu le processus ? Pour les premiers, menés par l’Espagne et le Luxembourg (qui ont tous deux approuvé le traité par référendum),  il n’est pas question de défaire les équilibres fondamentaux du texte ou de le fragmenter. Afin de faire bloc autour de cette revendication et d’influer sur les discussions dans ce sens, l’Espagne devrait organiser une réunion des 18 pays ayant ratifié le traité (Roumanie et Bulgarie comprises) à Madrid le 26 janvier. Pas question non plus de remettre en cause la substance du traité, selon le Parlement européen qui, dans une résolution adoptée le 14 juin 2006 s’oppose à « toute tentative de détricoter le compromis global réalisé dans le traité constitutionnel » (3).Le Parlement y réaffirme son soutien au Traité constitutionnel, demande que les Etats membres prennent des engagements clairs sur la poursuite su processus de ratification et appelle à un dialogue spécifique avec les Pays-Bas et la France, où les référendums négatifs de 2005 ont bloqué le processus « pour  examiner si, et à quelles conditions, il leur paraîtrait   possible de poursuivre le processus de ratification ».

Même tonalité chez les syndicats européens : la Confédération européenne des syndicats (qui avait appelé à voter oui) rappelle son opposition à une dilution de la Constitution européenne dans un communiqué du 19/10/06 et, en particulier,  aux « tentatives de supprimer la Charte des droits fondamentaux » (4).

De son côté la Commission européenne s’est démarquée en mettant l’accent sur la communication et le débat sur des thèmes concrets sensés rapprocher l’Union européenne des préoccupations des citoyens (le plan D comme « démocratie et dialogue » lancé le 13/10/2005) et valoriser une « Europe des résultats » définie par des propositions présentées le 10/05/2006 (5). Plus polémique, un document du 22/11/2006 évalue le coût de l’absence de constitution pour l’Europe, thème développé par la commissaire chargée des affaires institutionnelles et de  la communication, Margot Wallström devant la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen (et par un eurodéputé allemand Jo Leinen dans un rapport du 19/09/2006) (6). Il s’agit de faire la démonstration que lors d’une série d’événements récents, l'Union européenne  aurait pu agir plus rapidement et plus efficacement si les dispositions du traité constitutionnel avaient été appliquées.

L’ heure est donc à la mobilisation pour sauver, autant que faire se peut, un traité que d'aucuns en France voudraient déjà enterré.

 

La position des principaux prétendants à la Présidence en France

En France, pays qui a rejeté le traité constitutionnel, le débat est soigneusement occulté par les candidats à l’élection présidentielle, du moins par ceux qui sont crédités des plus grandes chances de l’emporter. Sans doute par crainte de ranimer la querelle entre « nonistes » et « ouistes » . Sur le sort du traité constitutionnel, leurs positions divergent sensiblement (comme d’ailleurs sur la vision de l’Europe, mais ce thème est trop vaste pour être abordé ici. De même, j’ai choisi de m’en tenir aux positions des deux « favoris » potentiels et d’un challenger).

Dans une conférence de presse du 11/10/2006 Ségolène Royal, défend l’idée de « l’Europe par la preuve » qui s’apparente fort à Europe des résultats de la Commission européenne (7). La refonte des institutions est certes nécessaire, mais ce n’est pas une priorité, pas plus que  l’Europe politique. Quant au traité constitutionnel, il est décrété « caduc ». «  L’idéal serait : réussir l’Europe par la preuve, lancement d’un débat sur les objectifs de l’Europe sous présidence allemande…Le débat serait poursuivi et synthétisé sous les présidences portugaises et slovènes. La présidence française lancerait une convention chargée de rédiger le texte de la réforme institutionnelle qui serait présenté aux peuples, le même jour, suivant la procédure que chaque pays aura choisie ». Bref, dans les propositions de Ségolène Royal le chapitre du traité constitutionnel est clos et la réforme des institutions peut attendre encore.

Nicolas Sarkozy conforme  à son image d’homme pressé, plaide, lui,  pour l'adoption d'un texte qui pourrait être ratifié sans référendum et reprendrait certaines dispositions institutionnelles du traité constitutionnel (8). Ce « mini traité » permettrait de réaliser les réformes institutionnelles les plus urgentes, en attendant que l’Union européenne se dote d’une « loi fondamentale » (ce qui risque de prendre plus de temps). Il comprendrait les dispositions relatives à l’extension de la majorité qualifiée et de la codécision (notamment en matière judiciaire et pénale), celles qui concernent les modalités d'application de la majorité qualifiée, notamment la règle de la double majorité, les dispositions qui organisent le partage du pouvoir législatif entre Parlement et Conseil et l’élection du Président de la Commission par le Parlement, le principe de subsidiarité, la présidence stable du Conseil européen , la mise en place d’un Ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne , le droit d’initiative citoyenne , les coopérations renforcées et enfin l’attribution de la personnalité juridique à l’Union européenne. Ce mini traité pourrait être élaboré sous présidence allemande, en 2007, et les ratifications achevées  sous présidence française, en 2008, de manière à l’appliquer dès les prochaines élections européennes, à partir de 2009.

Censé être le candidat le plus pro européen, François Bayrou n’est pas non plus, bizarrement ( ?), très prolixe sur le thème du traité constitutionnel. Le site de l’UDF donne plus d’informations (9). Selon l’UDF, un nouveau traité constitutionnel est nécessaire. Pour tenir compte des résultats des referenda négatifs, il devrait s’agir d’un texte simple et cohérent qui pose les principes d’organisation et définisse les valeurs de l’Europe. Le fonctionnement des institutions devrait être réformé pour le rendre plus démocratique : extension de la procédure de codécision Parlement- Conseil, à tous les domaines qui relèvent de la compétence de l’Union, réforme de la procédure de vote au Conseil  avec l’abandon de la règle de l’unanimité et adoption d’un système de votation à la double majorité Etats-population pour que les grands pays aient un poids correspondant à leur importance démographique, durée de la présidence du Conseil portée à 18 mois ou deux ans, création d’un poste de ministre des affaires étrangères de l’Union, disposant d’une compétence regroupant les domaines économique et politique. La composition de la Commission européenne serait revue  afin de couper le « cordon ombilical » reliant les commissaires à leurs états d’origine. Le projet de traité constitutionnel serait  soumis à référendum le même jour que l’élection des députés au Parlement européen en 2009.

 

Des perspectives incertaines

Aujourd’hui, il semble que l’on ait au moins une certitude : il y aurait un consensus sur l’abandon du terme de « Constitution » pour éviter la vindicte de certains « nonistes » qui n’ont toujours pas compris la différence entre un traité international et une constitution.

Pour le reste, le résultat des discussions est incertain…

En attendant on continuera à débattre sur la crise de l’Union européenne. Certains font remarquer, pour réfuter la réalité de cette crise,  que le traité de Nice dont on disait que ses dispositions allaient provoquer la paralysie des institutions, n’a pas empêché l’Union de fonctionner et de parvenir à des décisions sur les perspectives financières pour 2007-2013, la directive services et le règlement REACH notamment.

Mais l’accord sur les perspectives financières s’est fait sur un compromis « a minima ». Quant à l’adoption de la directive services et du règlement REACH, elle traduit la montée en puissance du Parlement européen. Et c’est personnellement ce que je retiendrai : deux institutions, le Parlement et la Cour de justice des Communautés européennes font « tourner » la machine Europe et progresser l’intégration. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette fin d’année que de constater qu’au moment où l’Union voit sa  légitimité contestée, l’intégration juridique progresse (ainsi que le montre encore récemment la décision rendue par Conseil constitutionnel français sur la loi sur le secteur de l’énergie qui fait écho à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes consacrant la primauté du droit communautaire sur le droit national y compris constitutionnel)(10). 

Sur le plan politique en revanche, le « choc salutaire » promis par les tenants du non en France n’a pas eu lieu. Cela se confirme,  le non français a été une divine surprise pour tous les tenants d’une Europe libérale comme le montre l’empressement du Royaume-Uni a à ajourner sine die la ratification du traité, laissant à la France la responsabilité du statu quo. En fait de choc salutaire et de plan B, pour le moment que voit-on ? Une Europe faible politiquement et un marché économique et financier qui se porte bien.

 

Et au-delà du traité constitutionnel?

L’ adoption d’un traité constitutionnel n’est pas forcément la clé d’une sortie du marasme (a fortiori si elle devait avoir lieu aux forceps !).

En prenant le problème à la base, il est certain que la méconnaissance de l’Europe communautaire et de ce qu’elle fait est un obstacle au contrôle démocratique car elle fait le lit des préjugés et des croyances erronées. Le combat contre une Europe fantasmée est une perte de temps et équivaut à donner des coups d’épée dans l’eau (sauf si l’objectif est de remettre en cause l’existence même de la construction européenne auquel cas tous les arguments y compris les plus ineptes et les plus mensongers sont bons à utiliser pour les tenants de cette stratégie suicidaire). Pour pouvoir peser sur les choix européens il faut savoir comment et pourquoi ils sont faits. Ce n’est pas le cas. Le succès de l’analyse du traité constitutionnel par Etienne Chouard le montre bien. Comment de nombreux lecteurs ont-ils pu de bonne foi croire vrai ce texte où les erreurs abondaient ? L’enseignement de l’Europe dès l’école est donc indispensable pour forger une réflexion critique autonome et éviter de se jeter dans le prêt à penser.

Ensuite, tant que les politiques seront présentées sous un angle exclusivement national, l’Union européenne apparaîtra comme une réalité lointaine pour les citoyens. Il est certainement très utile de se pencher sur la composition et le statut de la Commission européenne, sur les pouvoirs du Conseil et du Parlement, bref, sur le meccano institutionnel, mais il serait tout aussi sinon plus utile d’aborder les aspects communautaires de questions comme la protection sociale,  les conditions de travail, le fonctionnement des services publics, la lutte contre le réchauffement climatique, l’indépendance énergétique…Sur ces questions, et d’autres, quelles sont et quelles doivent être les compétences respectives des états et de l’Union ? Il est temps de faire le point sur ce que l’on veut faire ensemble, sur les domaines pour lesquels l’Union est le niveau le plus pertinent, et celles qui doivent rester de la compétence nationale, et de refonder alors par un pacte politique (qui pourrait être la constitution) une intégration qui aujourd’hui progresse dans l’ombre, grâce à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

Souhaitons donc à l’Union européenne et à nous, européens, de connaître de meilleurs jours en 2007.  Et notamment d’avoir un débat plus honnête, plus fructeux, non pollué par les démagogues et pseudo spécialistes de tous bords.  

  27/12/2006

 


 

1 - Certains dénonçant  la perte d’influence du français dans les institutions européenne au profit de l’anglais, pourquoi ne pas ressusciter notre bonne vieille langue latine :-)

2 - "Ensemble, nous réussirons l’Europe“ Programme de la présidence 1er janvier - 30 juin 2007

3 - Parlement Européen, "Résolution "sur les étapes futures de la période de réflexion et d'analyse sur l'avenir de l'Europe", 14/06/2006.

4 - CES, communiqué du 19/12/2006, 19/10/06, "la CES s'oppose à une dilution de la Constitution européenne"

5 - Plan D pour la relance de l'Union européenne: propositions

6 - Consultable sur le site du député: "the costs of no-constitution"

7 - Consultable sur son site "désirs d'avenir": Conférence de presse de Ségolène Royal sur l’Europe, 11/10/2006, Bruxelles

8 - Intervention devant Friends of Europe / Amis de l'Europe et la Fondation Robert Schuman, 08/09/ 2006, Bruxelles

9 - Projet consultable sur le site de l'UDF

10 - Sur ce site: Quand le droit communautaire s'impose au juge constitutionnel français

 

 

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