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Annulation de vol et circonstances exceptionnelles




cour de jusitce de l'union européenne

Une audience de la Cour de justice chambre à cinq juges
Source : Cour de Justice de l’Union Européenne

 



Les passagers aériens qui sont victimes de refus d’embarquement, d’annulation ou de retard important d’un vol, ont droit à une indemnisation et à une prise en charge par la compagnie aérienne en vertu du règlement européen du 11 février 2004 (règlement no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement, d’annulation ou de retard important d’un vol). Mais la compagnie aérienne peut être exonérée de ses obligations en cas de « circonstance extraordinaire ». Et dans ce cas, le malheureux client n’a droit à rien.

C'est pourquoi la notion de circonstance extraordinaire reste très discutée et au centre de litiges entre les passagers et les compagnies. La Cour de Justice de l’Union Européenne a déjà été appelée à préciser ce qu’il fallait entendre par là. Elle s’est récemment prononcée sur un cas de figure bien connu : celui de la grève du personnel.

Du 26 avril au 2 mai 2019, la compagnie aérienne scandinave SAS avait du annuler tous les vols qu’elle devait assurer, en raison de la grève de ses pilotes au Danemark, en Suède et en Norvège. Cette grève avait pour origine les difficultés à négocier une nouvelle convention collective (et des augmentations de salaires), difficultés imputées par les syndicats de pilotes à la compagnie. Durant cette semaine de grève, 4 000 vols avaient été annulés par SAS, ce qui avait affecté environ 380 000 passagers. L’un d’eux, M. S., qui avait réservé une place sur un vol intérieur reliant Malmö à Stockholm pour le 29 avril 2019, avait fait une demande en indemnisation. Il avait ensuite cédé à Airhelp, une société spécialisée dans la défense des droits des passagers aériens, ses droits éventuels à l’égard de SAS portant sur sa demande. Airhelp avait donc saisi un tribunal suédois pour obtenir l’indemnisation de 250 euros prévue par le règlement n°261/2004, majorée des intérêts de retard à compter du 10 septembre 2019 et jusqu’à ce que le paiement ait lieu. Mais SAS avait soutenu, pour refuser de payer l’indemnité demandée, que la grève avait constitué une circonstance extraordinaire. Le tribunal suédois avait préféré poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne avant de statuer sur la demande d’Airhelp. La Cour allait devoir expliquer si la notion de circonstance extraordinaire peut englober une grève qui a été annoncée par des organisations de salariés à la suite d’un préavis lancé licitement.

C’est ce qu’elle a fait dans un arrêt du 23 mars 2021 (affaire C-28/20, Airhelp Ltd/Scandinavian Airlines System SAS).

Les questions posées par le juge suédois étaient les suivantes :

« 1)      Une grève, suivie par les pilotes d’aéronefs employés par un transporteur aérien et indispensables pour la réalisation d’un vol, constitue-t-elle une “circonstance extraordinaire”, au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, dans la mesure où la grève n’est pas lancée à la suite d’une mesure qui a été décidée ou communiquée par le transporteur aérien, mais a été annoncée par des organisations de salariés à la suite d’un préavis et lancée licitement en conformité avec le droit national en tant qu’action collective visant à inciter ledit transporteur aérien à augmenter les salaires, à accorder des avantages ou à modifier les conditions d’emploi en vue de satisfaire aux demandes des organisations de salariés ?

2)      Le caractère raisonnable des demandes présentées par les organisations de salariés et, en particulier, le fait que l’augmentation des salaires demandée est nettement plus élevée que les augmentations des salaires généralement appliquées sur les marchés de travail nationaux pertinents, ont-ils une incidence sur la réponse à la première question ?

3)      Le fait que le transporteur aérien, dans l’intention d’éviter une grève, accepte une proposition de conciliation présentée par un organisme national chargé de la médiation des conflits collectifs, tandis que les organisations de salariés n’acceptent pas cette proposition, a-t-il une incidence sur la réponse à la première question ? »

Ces questions, la Cour choisit de les traiter conjointement en estimant qu’elles reviennent en substance à demander quelles sont les conditions pour qu’une grève du personnel puisse être considérée comme « circonstance extraordinaire » au sens du règlement 261/2004.

Ce dernier prévoit que le transporteur aérien peut s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve que « l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ». Il en résulte que le transporteur doit pouvoir démontrer qu’il a pris les mesures adaptées à la situation en mettant en œuvre tous les moyens en personnel, en matériel et les moyens financiers dont il disposait, pour éviter l’annulation. Si cela ne va pas jusqu’à exiger de lui de lui qu’il consente des sacrifices insupportables au regard des capacités de son entreprise, la notion de circonstance extraordinaires doit quand même être interprétée de façon stricte afin de ne pas remettre en cause l’objectif du règlement qui est d’assurer une protection élevée aux passagers aériens (point 24).  

Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion de « circonstances extraordinaires », désigne « des évènements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à la maîtrise effective de celui-ci, ces deux conditions étant cumulatives et leur respect devant faire l’objet d’une appréciation au cas par cas » (point 23).

La grève intervenue à Scandinavian Airlines System peut-elle être considérée, pou pas, comme un événement inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné?. La grève est un droit fondamental garanti et elle peut être utilisée dans la négociation sociale, rappelle la Cour qui en conclue qu’ « une grève dont l’objectif se limite à obtenir d’une entreprise de transport aérien une augmentation du salaire des pilotes, une modification de leurs horaires de travail, ainsi qu’une plus grande prévisibilité en matière de temps de travail constitue un évènement inhérent à l’exercice normal de l’activité de cette entreprise, en particulier lorsqu’une telle grève est organisée dans un cadre légal » (point 30).

Cette grève était-elle un évènement échappant entièrement à la maîtrise effective de la compagnie SAS ? Non. Car pour cela il aurait fallu qu’elle revête un caractère anormal et imprévisible, selon la jurisprudence de La Cour. Or, dans le cas d’espèce, « le caractère prévisible de la grève en cause semble se vérifier puisqu’il ressort de la décision de renvoi que les syndicats des pilotes avaient, dès l’été 2018, résilié la convention collective censée couvrir la période 2017-2020, de sorte que SAS ne pouvait ignorer que les pilotes entendaient faire valoir des revendications. En outre, il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour que la grève en cause au principal aurait débuté sans respect du préavis légalement prévu » souligne le juge européen. Et, du moment qu’il s’agit d’un événement qui pouvait être prévu, la compagnie SAS avait, en principe, les moyens de s’y préparer pour en atténuer les conséquences (points 34 et 35), notamment en négociant. Le caractère éventuellement déraisonnable ou disproportionné des revendications formulées par les grévistes n’y change rien. Selon la Cour, le principe qui doit prévaloir est qu’ « une grève du personnel d’un transporteur aérien effectif ne saurait être qualifiée de « circonstance extraordinaire »…lorsque cette grève est liée à des revendications afférentes aux relations de travail entre ledit transporteur et son personnel, susceptibles d’être traitées dans le cadre du dialogue social interne à l’entreprise » (point 37).

 

Enfin, rappelle la Cour, « les évènements dont l’origine est « interne » doivent être distingués de ceux dont l’origine est « externe » au transporteur aérien » pour définir la notion de « circonstance extraordinaire » (point 39).  La grève déclenchée et suivie par des membres du personnel de la compagnie SAS constitue un évènement « interne » à cette entreprise, y compris s’agissant d’une grève déclenchée à l’appel de syndicats, dans la mesure où ceux-ci interviennent dans l’intérêt des travailleurs de cette compagnie (ce qui ne serait pas le cas de grèves externes à l’activité de la compagnie, comme par exemple, des mouvements de grève suivis par des contrôleurs aériens, ou, encore, du personnel d’un aéroport). Une grève interne n’est pas une circonstance extraordinaire sauf si elle a pour origine des revendications que seuls les pouvoirs publics auraient le pouvoir de satisfaire.

 

Dispositif

L’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, doit être interprété en ce sens qu’un mouvement de grève entamé à l’appel d’un syndicat du personnel d’un transporteur aérien effectif, dans le respect des conditions édictées par la législation nationale, notamment du délai de préavis imposé par celle-ci, destiné à porter les revendications des travailleurs de ce transporteur et suivi par une catégorie de personnel indispensable à la réalisation d’un vol, ne relève pas de la notion de « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition.
 

 

 

 

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