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La Cour de Justice de l’Union Européenne plume les chasseurs

 

 

Cour de justice de l'Union européenne

Une audience de la Cour de justice chambre à cinq juges
Source : Cour de Justice de l’Union Européenne

 



Mon ami ornithologue se réjouissait hier d’apprendre que la Cour de Justice de l’Union Européenne venait de bannir la chasse à la glu. Il s’agit d’une méthode qui consiste à piéger des oiseaux sur des tiges enduites de colle. Ils sont ensuite mis en cage et utilisés pour en attirer d’autres par leurs chants, au bénéfice des chasseurs. Cette méthode, cruelle, est destinée aux grives et aux merles. Mais elle conduit en fait à la capture d’autres espèces et appauvrit une biodiversité déjà mise à mal, ce que dénoncent régulièrement les défenseurs de l’environnement.
 

Evidemment, les chasseurs, eux, ont du faire grise mine à l’annonce de la décision de la Cour. Ceci d’autant plus qu’ils pensaient avoir sauvé cette pratique après l’arrêt du Conseil d’Etat du 28 décembre 2018 (et bien que la chasse à la glu ait été temporairement suspendue en France depuis août 2020). A l’époque, le juge administratif français avait rejeté le recours de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) contre l’arrêté du 17 août 1989 relatif à l'emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d'appelants dans des départements du sud-est de la France (la région dans laquelle cette chasse est encore autorisée).
 

En 2018, de nouveaux arrêtés avaient été pris sur la base de l’arrêté du 17 août 1989 afin de réglementer la campagne de chasse 2018-2019. Ils avaient été à leur tour attaqués devant le Conseil d’Etat par la LPO et l’association One Voice, qui demandaient leur annulation et celle de l’arrêté du 17 août 1989 car elles estimaient la méthode de capture non conforme aux règles de la directive 2009/147 du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (aussi appelée directive « Oiseaux »). Cette directive interdit le recours à des méthodes de capture massive ou non sélective (elle cite d’ailleurs la technique des gluaux dans son annexe IV). Elle ne permet de dérogation que « s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante », pour capturer certains oiseaux en petites quantités, « dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective ».

Estimant que l’interprétation de la directive par la Cour de Justice de l’Union Européenne avait changé depuis les précédentes affaires qui lui avaient été soumises, le Conseil d’Etat avait décidé, le 19 novembre 2019, de surseoir à statuer pour lui poser deux questions préjudicielles pouvant ainsi se résumer :

 

  1. La directive « Oiseaux » interdit-elle un mode de capture dans lequel des oiseaux capturés et n’appartenant pas à l’espèce recherchée sont relâchés ? Il y a-t-il des critères tenant notamment à la proportion ou l’ampleur limitées des prises accessoires, qui permettent de répondre à cette question ?
  2. L’objectif de préserver le recours à des modes de chasse traditionnels peut-il justifier le maintien d’une dérogation ?
     

C’est à ces questions que répond la CJUE dans son arrêt du 17 mars 2021 (CJUE, 17 mars 2021, aff. C-900/19, One Voice et Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO)/ Ministre de la Transition écologique et solidaire).
 

La Cour décide d’examiner tout d’abord la seconde question préjudicielle. Elle rappelle que le recours aux dérogations n’est pas arbitraire mais doit être justifié : les textes nationaux applicables doivent énoncer des critères de manière claire et précise. La Cour poursuit ainsi : « S’agissant d’un régime d’exception, qui doit être d’interprétation stricte et faire peser la charge de la preuve de l’existence des conditions requises, pour chaque dérogation, sur l’autorité qui en prend la décision, les États membres sont tenus de garantir que toute intervention touchant aux espèces protégées ne soit autorisée que sur la base de décisions comportant une motivation précise et adéquate se référant aux motifs, aux conditions et aux exigences prévus à l’article 9, paragraphes 1 et 2, de cette directive » (point 29).  Les dérogations doivent s’appuyer sur « des connaissances scientifiques bien établies ». En outre, elles ne peuvent être admises que si aucune autre solution satisfaisante n’est possible, ce qui doit être vérifié. Par conséquent : « …il ne saurait être considéré qu’une réglementation nationale faisant usage du régime dérogatoire prévu à l’article 9 de la directive « oiseaux » remplit les conditions relatives à l’obligation de motivation…lorsqu’elle contient la seule indication selon laquelle il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, sans que cette indication soit étayée par une motivation circonstanciée, fondée sur les meilleures connaissances scientifiques pertinentes et exposant les motifs ayant conduit l’autorité compétente à la conclusion que l’ensemble des conditions susceptibles de permettre une dérogation, au sens de l’article 9 de ladite directive, dont la condition relative à l’inexistence d’une autre solution satisfaisante, sont réunies » (point 32).
Le fait que la dérogation concerne une méthode de chasse traditionnelle n’est pas suffisant à la justifier. « En effet », observe la Cour « les méthodes de chasse relèvent souvent de traditions ou d’usages locaux, si bien que, si le but de les conserver tels quels constituait un motif autonome de dérogation, cela conduirait à autoriser un grand nombre de pratiques contraires aux exigences de l’article 9 de la directive « oiseaux » (point 36).  Une telle approche irait à l’encontre de l’interprétation stricte de cette disposition qui doit prévaloir afin de préserver l’objectif principal qui est la conservation des oiseaux. La Cour relève que des solutions alternatives peuvent être mises en œuvre (élevage et reproduction en captivité des espèces protégées, par exemple). La difficulté de les mettre en œuvre n’est pas une raison suffisante pour les écarter.

Sur la première question préjudicielle, la Cour relève qu’elle implique d’interpréter la condition selon laquelle la capture, la détention ou l’exploitation judicieuse de certains oiseaux doivent s’effectuer de manière sélective (article 9 §1 c de la directive). Pour en juger, il faut prendre en compte les modalités de ces pratiques, l’ampleur des prises qu’elles impliquent pour les oiseaux non ciblés, mais aussi les conséquences dommageables possibles sur les espèces capturées (point 62). Le fait qu’une méthode de capture en principe non létale entraîne des prises accessoires ne permet pas, à lui seul, d’établir le caractère non sélectif de cette méthode, mais, en revanche, « le volume de ces prises accessoires ainsi que l’étendue des éventuelles incidences sur les espèces ciblées et non ciblées sont révélateurs du niveau de sélectivité d’une telle méthode » (point 64). En l’espèce, le Conseil d’Etat souligne que la chasse à la glu est « en principe » non létale et n’induit des prises accessoires que dans des quantités faibles et pour un temps très limité. De plus l’article 11 de l’arrêté du 17 août 1989 prévoit que tout oiseau faisant l’objet d’une capture accessoire « est nettoyé et relâché immédiatement ». Mais selon la Cour, cela ne suffit pas pour répondre à l’exigence de sélectivité. Même si les prises accessoires sont de faible volume et même si la saison de chasse a une durée limitée, la chasse à la glu peut causer aux oiseaux capturés un dommage irrémédiable les gluaux étant, par nature, susceptibles d’endommager le plumage de tous les oiseaux capturés (point 67).

 

Dispositif

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1)      L’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages, doit être interprété en ce sens que le caractère traditionnel d’une méthode de capture d’oiseaux ne suffit pas, en soi, à établir qu’une autre solution satisfaisante, au sens de cette disposition, ne peut être substituée à cette méthode.
2)      L’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive 2009/147 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui autorise, par dérogation à l’article 8 de cette directive, une méthode de capture entraînant des prises accessoires, dès lors que celles-ci, même de faible volume et pour une durée limitée, sont susceptibles de causer aux espèces capturées non ciblées des dommages autres que négligeables.


 

C’est au Conseil d’Etat qu’il appartiendra de prendre la décision d’annuler les arrêtés contestés. Les jours de la chasse à la glu sont donc comptés. Ce qui n’empêche pas les chasseurs du Vaucluse d’espérer, comme le rapport France bleu dans un article du 17 mars. Selon eux, la chasse « n’est pas interdite, rien n’est perdu ». C’est oublier que le rôle de la Cour de Justice de l’Union Européenne n’est pas de censurer un texte. Elle livre une interprétation qui s’impose à la juridiction qui lui a posé la question préjudicielle. C’est pourquoi l’optimisme des chasseurs paraît peu réaliste. A moins qu’ils n’arrivent à démontrer que la chasse à la glu est sélective ce qui parait tout de même difficile, compte tenu des conditions posées par la CJUE dans sa décision.
 



Mise à jour le 28 juin 2021

Le Conseil d'Etat a suivi la Cour de Justice de l'Union Européenne et ordonné l'annulation des arrêtés qui autorisaient cette chasse par un jugement du 28 juin 2021.

 

 

 

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