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Mandat d’arrêt européen : indépendance de l'autorité qui émet un mandat d’arrêt européen

 

L’article 6, §1, de la décision-cadre 2002/584 qui définit l’autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen n’est pas très détaillé puisqu’il se borne à indiquer qu’il s’agit de « l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission qui est compétente pour délivrer un mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État ».

C’est la jurisprudence de la CJUE qui a précisé cette notion en rappelant tout d’abord, qu’elle ne dépend pas de la seule appréciation des états car il est nécessaire de parvenir à « une interprétation autonome et uniforme » qui tienne compte de l’objectif poursuivi par la décision sur le MAE (voir par exemple : points 51 et 52 de l’arrêt dans les affaires jointes C 566/19 PPU et C 626/19 PPU).

Selon cette jurisprudence, la notion d’ «autorité judiciaire», au sens de l’article 6,§1 de la décision-cadre peut englober les autorités d’un État membre qui, « sans nécessairement être des juges ou des juridictions, participent à l’administration de la justice pénale de cet État membre » (point 51 de l’arrêt du 27 mai 2019 dans les affaires jointes C 508/18 et C 82/19 PPU).

Dans sa décision du 27 mai 2019, la Cour précise enfin ce qui apparaît être le critère essentiel pour juger de la capacité d’une autorité à émettre un MAE : l’indépendance. Selon la Cour, « l’autorité judiciaire d’émission doit pouvoir apporter à l’autorité judiciaire d’exécution l’assurance que, au regard des garanties offertes par l’ordre juridique de l’État membre d’émission, elle agit de manière indépendante dans l’exercice de ses fonctions inhérentes à l’émission d’un mandat d’arrêt européen. Cette indépendance exige qu’il existe des règles statutaires et organisationnelles propres à garantir que l’autorité judiciaire d’émission ne soit pas exposée, dans le cadre de l’adoption d’une décision d’émettre un tel mandat d’arrêt, à un quelconque risque d’être soumise notamment à une instruction individuelle de la part du pouvoir exécutif » (point 74 de l’arrêt du 27 mai 2019 dans les affaires jointes C 508/18 et C 82/19 PPU). C’est en vertu de ce critère qu’elle a jugé que le parquet allemand ne remplissait pas les conditions pour délivrer des mandats d’arrêt européen. La Cour y constate que le ministre de la Justice a « la faculté d’influer directement sur la décision d’un parquet d’émettre ou, le cas échéant, de ne pas émettre un mandat d’arrêt européen » (point 77 de la décision du 27 mai 2019). Ce pouvoir d’instruction est, aux dires du gouvernement allemand, limité par des garanties qui l’encadrent, qui rendent son usage assez rare. Mais, observe la Cour, « de telles garanties, fussent-elles avérées, ne permettent pas, en tout état de cause, d’exclure pleinement que la décision d’un parquet…d’émettre un mandat d’arrêt européen puisse, dans un cas individuel, être soumise à une instruction du ministre de la Justice du Land concerné » (point 80). Et c’est pourquoi elle estime que les parquets allemands (les parquets des länders) ne remplissent pas la condition d’indépendance nécessaire pour émettre un MAE.


La Cour rend une décision opposée en ce qui concerne la France, à la surprise de ceux qui dénoncent la subordination du parquet français au Ministère de la justice. Selon le juge communautaire, « les magistrats du parquet français disposent du pouvoir d’apprécier de manière indépendante, notamment par rapport au pouvoir exécutif, la nécessité et le caractère proportionné de l’émission d’un mandat d’arrêt européen et exercent ce pouvoir de manière objective, en prenant en compte tous les éléments à charge et à décharge» (point 55) car le ministère public ne reçoit pas d’instruction individuelle du pouvoir exécutif, « le ministre de la Justice pouvant seulement adresser aux magistrats du parquet des instructions générales de politique pénale afin d’assurer la cohérence de cette politique sur l’ensemble du territoire. » (point 54). La structure hiérarchique du parquet et le fait que les procureurs généraux sont nommés par le pouvoir exécutif est sans incidence sur le raisonnement de la Cour qui remarque au contraire que « S’il est vrai que les magistrats du parquet sont tenus de se conformer aux instructions émanant de leurs supérieurs hiérarchiques, il ressort de la jurisprudence de la Cour…que l’exigence d’indépendance…ne prohibe pas les instructions internes qui peuvent être données aux magistrats du parquet par leurs supérieurs hiérarchiques…sur la base du lien de subordination qui régit le fonctionnement du ministère public » (point 56). Enfin, la Cour ajoute que le fait que le ministère public soit également chargé de l’action publique ne remet pas en cause son indépendance dans la mesure où son statut lui confère une garantie d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif dans le cadre de l’émission du mandat d’arrêt européen (point 57).

Il faut souligner que, ce faisant, la Cour n’a pas suivi les conclusions de son avocat général, Manuel Campos Sánchez-Bordona. Celui-ci avait estimé que l’indépendance de l’autorité judiciaire qui émet un mandat d’arrêt européen implique qu’elle ne doit recevoir aucune instruction, pas plus individuelle que générale. Il avait également considéré que la structure hiérarchique du parquet, au sommet desquels se trouvent des procureurs généraux nommés par l’exécutif, est incompatible avec l’existence d’une indépendance des procureurs qui sont leurs subordonnés. Mais, une fois n’est pas coutume (les conclusions de l’avocat général sont souvent suivies par les juges communautaires), la Cour a pris une autre voie et préféré se fonder sur les arguments présentés par le Gouvernement français.
 

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