Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

Obligations de l'avocat participant à des planifications fiscales transfrontières




cour de jusitce de l'union européenne

Une audience de la Cour de justice chambre à cinq juges
Source : Cour de Justice de l’Union Européenne

 

Quelles sont les obligations d’un avocat impliqué dans ce que l’on appelle des « planifications fiscales transfrontières » potentiellement agressives (des dispositifs fiscaux qui peuvent être illégaux) ? Telle a été la question posée à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans une affaire jugée récemment.

 

La libre circulation des capitaux et des personnes dans le marché intérieur a favorisé la recherche et la mise en place de constructions fiscales sophistiquées qui modifient l’assiette de l’imposition et ainsi les rentrées fiscales de certains états. D’optimisation fiscale, elles peuvent se transformer en fraude et évasion fiscale. C’est pourquoi a été adoptée la directive 2011/16 (directive 2011/16 du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, modifiée par la directive 2018/822 du 25 mai 2018). Elle introduit une obligation de déclaration concernant les dispositifs fiscaux transfrontières de planification fiscale à caractère potentiellement agressif auprès des autorités compétentes. Tous les intermédiaires parties prenantes à la conception, la commercialisation, l’organisation ou la gestion de la mise en oeuvre de ces dispositifs doivent les déclarer aux autorités fiscales compétentes. L’obligation s’étend à ceux qui apportent assistance ou conseil comme les avocats. Mais dans le cas de ceux-ci ils peuvent en être exemptés par un Etat si cette obligation est contraire au secret professionnel protégé en vertu de son droit national. Ils doivent alors notifier « sans retard » à tout autre intermédiaire, ou au contribuable concerné, cette dispense (article 8 bis ter de la directive).  
 

En octobre 2020 l’ordre des avocats flamands et diverses associations professionnelles saisissent la Cour constitutionnelle belge pour demander l’annulation du décret qui transpose la directive dans l’ordre juridique interne. Ils contestent l’obligation qui impose à l’avocat agissant en tant qu’intermédiaire, lorsqu’il est tenu au secret professionnel, d’informer les autres intermédiaires concernés par écrit et de façon motivée qu’il ne peut satisfaire à son obligation de déclaration. Ils font valoir qu’il est impossible de respecter cette obligation sans violer le secret professionnel auquel ils sont tenus les avocats. Estimant que la validité de l’article de directive 2018/822, qui impose cette obligation est en cause, la Cour saisit la CJUE d’une question préjudicielle : la disposition contestée de la directive viole-t-elle le droit à un procès équitable et le droit au respect de la vie privée garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans la mesure où l’avocat doit donner à un autre intermédiaire qui n’est pas son client des informations qui lui sont connues à l’occasion de l’exercice des activités essentielles de sa profession, à savoir la défense ou la représentation en justice du client et le conseil juridique, et cela, même en dehors de toute procédure judiciaire ?.

Dans sa décision du 8 décembre 2022 (affaire C-694/20 | Orde van Vlaamse Balies e.a.), la CJUE rappelle la portée du secret professionnel qui couvre les échanges entre les avocats et leurs clients. Le secret professionnel s’applique notamment à la consultation juridique, qu’il s’agisse de son contenu ou de son existence : « hormis des situations exceptionnelles », les clients « doivent pouvoir légitimement avoir confiance dans le fait que leur avocat ne divulguera à personne, sans leur accord, qu’elles le consultent » (point 27).

Or, remarque le juge communautaire : « l’obligation que prévoit l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 modifiée pour l’avocat intermédiaire…comporte nécessairement la conséquence que ces autres intermédiaires acquièrent connaissance de l’identité de l’avocat intermédiaire notifiant, de son appréciation selon laquelle le dispositif en cause doit faire l’objet d’une déclaration ainsi que du fait qu’il est consulté à son sujet » (point 29). Il en résulte « une ingérence dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, garanti à l’article 7 de la Charte » puisque sans cette obligation imposée par la directive, les autres intermédiaires n’auraient pas forcément eu connaissance de l’identité de l’avocat intermédiaire et du fait qu’il a été consulté (point 30). De plus, ajoute la Cour l’obligation de notification induit, indirectement, une autre ingérence dans ce même droit, « résultant de la divulgation, par les tiers intermédiaires ainsi notifiés, à l’administration fiscale de l’identité et de la consultation de l’avocat intermédiaire » (points 31 et 32).


Ces ingérences pourraient être justifiées par un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union européenne telle que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Mais en l’espèce, l’obligation de notification incombant à l’avocat n’est pas nécessaire pour réaliser cet objectif: « …à supposer même que l’obligation de notification, instaurée par l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16 modifiée, soit effectivement apte à contribuer à la lutte contre la planification fiscale agressive et à la prévention du risque d’évasion et de fraude fiscales, force est de constater qu’elle ne saurait, toutefois, être considérée comme étant strictement nécessaire pour réaliser ces objectifs et, notamment, pour assurer que les informations concernant les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration soient transmises aux autorités compétentes » (point 46). L’obligation de déclaration incombant aux autres intermédiaires non soumis au secret professionnel et, à défaut de tels intermédiaires, celle incombant au contribuable concerné, garantissent, en principe, que l’administration fiscale soit informée et en mesure d’agir en demandant des informations supplémentaires directement au contribuable concerné, ou en effectuant un contrôle de sa situation fiscale (point 52).
 

C’est pourquoi la CJUE juge que l’obligation de notification prévue par la directive n’est pas nécessaire et viole donc le droit au respect des communications entre l’avocat et son client.
 

 

 

Dispositif

 

L’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE, telle que modifiée par la directive (UE) 2018/822 du Conseil, du 25 mai 2018, est invalide au regard de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce que son application par les États membres a pour effet d’imposer à l’avocat agissant en tant qu’intermédiaire, au sens de l’article 3, point 21, de cette directive, telle que modifiée, lorsque celui-ci est dispensé de l’obligation de déclaration, prévue au paragraphe 1 de l’article 8 bis ter de ladite directive, telle que modifiée, en raison du secret professionnel auquel il est tenu, de notifier sans retard à tout autre intermédiaire qui n’est pas son client les obligations de déclaration qui lui incombent en vertu du paragraphe 6 dudit article 8 bis ter.

 

 

 

Français

Les PLus

 

Les PLus

 

 

Jurisprudence

 

  • Commentaires de décisions de la Cour de Justice de l'Union Européenne et d'arrêts du Tribunal,
  • Conclusions des avocats généraux

 

 

Archives de l'ancien site

Articles d'actualité européenne

2001 / 04 - 2013

Brèves d'information

2009 / 04 - 2013

 

ME JOINDRE