Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

Tromperie sur des plats surgelés à base de viande: une affaire européenne ou nationale?

 

Des hamburgers de cheval alors qu'ils étaient censés être au boeuf, des lasagnes à la viande de boeuf qui s'avère être du cheval...Ce n'est pas un nouveau scandale de sécurité alimentaire (du moins pas encore) comme l'avait été la crise de la vache folle, mais bien une escroquerie dont l'ampleur et les responsables commencent sans doute à peine à être connus et qui met en cause la complexité des circuits de distribution propice à la recherche effrénée du profit.

Le cheval pris pour du boeuf et le retour du syndrome du concombre espagnol

Intriguée par le prix anormalement bas auquels sont commercialisés des hamburgers, l'agence irlandaise de sécurité alimentaire soumet ces hamburgers à des tests ADN qui révèlent que la viande de boeuf censée les composer est en fait...du cheval, une viande moins chère. Une enquête plus approfondie est menée pour savoir si le problème est ponctuel ou inhérent à la chaine agroalimentaire en Irlande. Début février l'Agence britannique de sécurité alimentaire annonce que des lasagnes de la marque Findus, et prétendues être au boeuf contiennent en fait de la viande de cheval, quelquefois en totalité. Le sous-traitant Comigel, qui a produit les plats surgelés pour Findus et d'autres marques met en cause un de ses fournisseurs, la société Spanghero qui à son tour indique que la viande provient de Roumanie. En Suède, Findus rappelle ses lasagnes surgelées. D'irlandais le problème s'avère être en fait européen car d'autres pays, dont la France, sont touchés par la transmutation peu catholique de la viande de boeuf en viande de cheval dans des plats cuisinés comme les lasagnes commercialisées par Findus.

A cette occasion on découvre le tortueux circuit de distribution d'une viande qui, partant d'un abattoir roumain, arrive transformée et méconnaissable dans les assiettes de consommateurs français après être passée par un courtier à Chypre et par l'entreprise française Spanghero fournisseur du suédois Findus.

Et, comme c'est prévisible, dans notre pays on accuse les roumains forcément peu scrupuleux et corrompus d'être à l'origine du problème, et l'Europe communautaire de laisser faire, car bien entendu c'est la faute de la libre circulation, du marché ouvert à tous les vents sans régulation ni contrôle, mais évidemment pas, surtout pas, d'une entreprise de notre beau pays si connu pour son amour de la bonne chère, pour ses règles protectrices des consommateurs et pour la fiabilité de ses contrôles! Autant dire que l'on tombe de haut lorsque l'on découvre que c'est l'entreprise Spanghero qui serait coupable d'avoir fait passer de la viande de cheval pour du boeuf. C'est le syndrome du concombre espagnol. Vous vous souvenez de cette affaire qui avait coulé la filière espagnole des fruits et légumes après que l'Allemagne ait précitamment mis en cause des concombres importés d'Espagne dans la propagation de la bactérie E.coli enterohémorragique. Il s'était avéré finalement que le responsable était une ferme allemande, une hypothèse qui n'avait pas d'abord effleuré les autorités allemandes, persuadées que le problème ne pouvait provenir que d'un pays...moins sérieux comme l'Espagne (1). Pour la France, l'espagnol c'est le roumain, en somme. Et là encore, la fierté nationale en prend un coup.

Pourquoi l'entreprise Spanghero est-elle montrée du doigt par les autorités françaises (et notamment par le ministre délégué à la consommation, Benoît Hamon, en présentant les premiers résultats de l'enquête, le 14 février) ? Parce que selon les informations actuelles, les factures saisies dans les locaux de la sociéré par les enquêteurs de la direction de la protection des populations (répression des fraudes) montrent que le code de la viande achetée par Spanghero et revendue par elle comme viande de boeuf, correspond bien à la viande de cheval selon la nomenclature douanière. Spanghero aurait délibérément falsifié les étiquettes, car l'entreprise "ne pouvait en aucun cas ignorer la signification de ce code" (2). C'est pourtant la défense, curieuse, de la Direction de la société que l'on a vue devant les caméras des journaux télévisés affirmer qu'elle ne connaissait pas ce code qui était peu courant selon elle (pourtant, les codes de la nomenclature douanière sont aisément vérifiables par tous sur le site de la Commission européenne) et qu'elle avait été abusée croyant que c'était celui de la viande bovine! La Direction plaide donc...l'incompétence, plutôt que la tromperie, ce qui n'est pas très rassurant non plus. Quant aux salariés, ils ont le sentiment d'être également des victimes dans cette affaire qui menace la pérennité de l'entreprise. Mais curieusement, également, ils s'en sont pris...au ministre, plutôt qu'à leurs dirigeants, en l'accusant de "couler" la société (dont l'agrément sanitaire avait été suspendu temporairement avant d'être rétabli le 18 février sauf pour les activités d’entreposage de matières premières congelées).

L'Union européenne entre en scène

Du côté de l'Union européenne, la réaction n'a pas tardé.

Le 13/02/2013 s'est tenu une réunion informelle du Conseil des Ministres de l'agriculture qui réunissait en particulier les ministres des pays affectés par la crise. La conférence de presse qui a eu lieu ensuite a été l'occasion de rappeler les compétences et les responsabilités respectives de l'Union européenne et des états, et de présenter les actions décidées.

La crise de la vache folle a mis en évidence la nécessité de renforcer la coordination des actions menées au niveau des états pour débusquer les problèmes de sécurité alimentaire, la circulation des informations, et de trouver une réponse rapide au niveau de l'Union européenne. En cas de danger sanitaire, le système européen d'alerte rapide pour les denrées alimentaires (3) permet le retrait du marché de tout aliment présentant un risque pour la santé. Selon les informations données par la Commission, ce système traite chaque année de l'ordre d'un millier d'alertes. Or, en l'occurrence, souligne la Commission, il n'y a pas (ou pas encore?) de problème de sécurité alimentaire car les tests faits sur la viande chevaline pour dépister des traces de médicaments se sont révélés négatifs (notamment absence de phénylbutazone, une substance qui sert à traiter les inflammations articulaires et les coliques chez les chevaux et qui peut causer des maladies chez l'être humain).

Il y a en revanche un problème de fraude à l'étiquetage, une partie prenante de la chaîne agroalimentaire ayant vendu de la viande de cheval sous le nom de viande de boeuf pour en retirer un profit.

La législation communautaire prévoit la traçabilité des aliments (règlement 178/2002) et l'étiquetage (règlement 178/2002, règlement général 1169/2011 sur l'obligation d'étiquetage des produits, règlements spécifiques : ex: indications d'origine, présence d'organismes génétiquement modifiés, allégations nutritionnelles...) (4). Ces règles ont permis de retracer le parcours de la viande en cause. La législation en vigueur est également suffisante, assure la Commission, pour sanctionner le ou les fraudeurs (les enquêtes menées par les états se font sur la base des règles communautaires dont ils sont chargés d'assurer l'application).

Mais faut-il aller plus loin et légiférer pour éviter qu'une fraude semblable à celle qui a été décelée ne se reproduise, en améliorant la traçabilité et l'étiquetage des produits transformés?

Plusieurs mesures proposées par la Commission européenne ont reçu un accord favorable au conseil informel.

La première est de confier un rôle de coordination central à un organe communautaire qui réunira les informations collectées par les états lors de leurs investigations. Cet organe pourrait être Europol.

La seconde est d'accélérer le rapport que que doit remettre la Commission sur l'étiquetage des produits transformés.

La troisième est d'effectuer une série de tests complémentaires de ceux que réalisent les états sur une période initiale de deux mois, voire trois. Une première série de tests aura lieu durant tout le mois de mars pour dégager des tendances, et déterminer à quels pays se limite le problème. Les résultats seront connus mi avril. Des milliers de tests permettront de faire des vérifications d'ADN dans les produits de la viande, d'autres de tester la présence de phénylbutazone dans la viande chevaline, dont 2500 pour des produits de l'Union européenne, et 1500 pour des produits importés de pays tiers (car 30% de la viande chevaline est importée de l'extérieur de l'UE). La Commission cofinancera ces tests à hauteur de 50% de leur coût.

Reste le problème de la financiarisation du marché. Cette crise a mis la lumière sur le rôle central de traders dans la chaîne alimentaire et la spéculation sur la nourriture. Pour qu'une régulation soit efficace il faudrait qu'elle soit entreprise à l'échelle de l'Union européenne. Le problème, de taille, est d'en convaincre les états membres qui sont hostiles à plus de régles.

 


15/02/2013

 


1 - Voir l'article : Préjugés

2 - Les factures retrouvées par la répression des fraudes accablent Spanghero, France info, 15/02/2013

3 - Rapid alert system for food and feed, RASFF

4 - Règlement n° 178/2002 du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires

Règlement n°1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) n°1924/2006 et (CE) n° 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) n° 608/2004 de la Commission

 

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