Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

De nouvelles règles sur le droit d'auteur dans l'Union européenne - I

 

 

 

copyright

Auteur: DELMEIREN Frédérique

 

 

Protéger les créateurs, leur assurer une rémunération équitable lorsque leurs œuvres sont diffusées en ligne : c’est l’objet de la directive sur le droit d’auteur du 17 avril 2019 qui est entrée en vigueur dans toute l’Union européenne le 7 juin 2021 (les Etats avaient jusqu’à cette date pour la transposer dans leur droit national). Il a fallu plus de deux ans pour adopter ces nouvelles règles et modifier la législation européenne existante, largement dépassée alors que les technologies numériques ont transformé en profondeur aussi bien la production que la distribution et l’accès aux oeuvres.

Le but est de faire évoluer la protection du droit d’auteur afin d’en préserver les éléments fondamentaux : le droit moral et les droits patrimoniaux. Le premier protège confère à l’auteur d’une oeuvre de l’esprit, le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Il ne peut être cédé (caractère inaliénable) ni prescrit et confère à l’auteur différentes prérogatives : droit de divulgation, droit de paternité, droit au respect de l’intégrité de l’oeuvre et droit de repentir. Les droits patrimoniaux, eux, concernent l’exploitation exclusive de l’œuvre et recouvrent les possibilités pour l’auteur d’autoriser l’exploitation de l’oeuvre. Selon le Code de la propriété intellectuelle, ils couvrent le droit de reproduction, le droit de représentation (communication au public), le droit d’adaptation, le droit de suite et celui de demander une rémunération pour l’utilisation de l’oeuvre.

L’objectif des nouvelles règles est également de rapprocher les législations nationales.

 

Comment faire en sorte que les créateurs et titulaires de droits ne soient pas « pillés » par l’utilisation en ligne de leurs œuvres ? Comment éviter les téléchargements non autorisés ? Quelles obligations pour les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne visés par la directive comme étant (à quelques exceptions près comme les encyclopédies coopératives en ligne) : « le(s) fournisseur(s) d'un service de la société de l'information dont l'objectif principal ou l'un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l'accès à une quantité importante d'œuvres protégées par le droit d'auteur ou d'autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu'il organise et promeut à des fins lucratives » (article 2 de la directive) ? Quelles garanties pour la liberté d'expression en ligne des citoyens ? Voila quelques unes des questions auxquelles la nouvelle directive doit répondre.
 

- Elle met en place un cadre global, et concerne des catégories d’intervenants de l'environnement numérique aussi diverses que les artistes, les journalistes et la presse, les producteurs de films et de musique, les services en ligne, les bibliothèques, les chercheurs, les musées et les universités, etc...sans oublier les internautes. Au final, elle concerne pratiquement tout le monde ! Voila pourquoi il n’est pas inutile d’en rappeler les principaux éléments.
 

- L’accès transfrontière et en ligne à des contenus est facilité et élargi: plus grande disponibilité des œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande, numérisation et diffusion des œuvres indisponibles dans le commerce, possibilité pour les utilisateurs de diffuser en ligne, en toute sécurité juridique, des copies d'œuvres d'art se trouvant dans le domaine public.
 

- La directive vise également à instaurer une plus grande équité pour les auteurs sans quoi la créativité et la création de contenus de qualité ne survivront pas au rouleau compresseur d’internet.
Elle permet aux titulaires de droits d’être en meilleure position pour négocier et être rémunérés pour l'exploitation en ligne de leurs contenus par des plateformes de mise en ligne de contenus par les utilisateurs. Les plateformes doivent conclure des accords de licence avec les titulaires des droits sur l’œuvre qu’elles veulent diffuser.

 

La directive permet la concession de licences collectives étendues, c’est-à-dire permettant à des organismes de gestion collective de conclure, sous certaines conditions, des licences concernant les droits de non-membres (article 12). L’idée est de faciliter l'obtention des droits dans des domaines où l'octroi de licences individuelles pourrait être trop difficile pour les utilisateurs (par exemple, pour éviter à des établissements d'enseignement de devoir négocier individuellement avec les titulaires de droits).
 

A défaut, les plateformes doivent prendre certaines mesures si elles veulent éviter d'être tenues responsables d’une violation des droits. La directive étend en effet leur responsabilité. Sous le régime précédent, il leur suffisait d’invoquer leur ignorance du caractère irrégulier de la mise à disposition de contenu pour s’exonérer de leur responsabilité à l’égard des créateurs. Avec la nouvelle directive, elles vont devoir démontrer leur volonté de protéger les droits de propriété intellectuelle.
 

Si elles ne peuvent obtenir une autorisation, elles devront faire tout leur possible pour garantir l'indisponibilité des contenus non autorisés. Elles devront supprimer rapidement tout contenu non autorisé à la suite de la réception d'une notification et faire tout leur possible pour empêcher les mises en ligne ultérieures (article 17). La Commission européenne a expliqué que l'obligation de « faire tout son possible » n'impose aucun moyen ni aucune technologie spécifique de reconnaissance des contenus illicites. Par conséquent, les plateformes ne seront pas obligées d’utiliser des filtres de téléchargement, par exemple. Elles ont les choix des moyens à mettre en œuvre pour se conformer à leurs obligations.
 

Les règles sont assouplies pour les nouvelles petites plateformes n’ayant pas d’autorisation du titulaire des droits. Ce sont les prestataires de services en ligne ayant moins de trois ans d'existence dans l'Union, dont le chiffre d'affaires est inférieur à 10 millions d'euros et dont le nombre d'utilisateurs est inférieur à 5 millions par mois. Cette disposition qui permettra l’émergence de nouveaux acteurs du numérique face aux géants américains favorisera le développement de start-ups européennes dans un secteur où les Etats-Unis ont une suprématie écrasante.
 

- Un droit voisin du droit d’auteur est créé par la directive au bénéfice des  éditeurs de presse en ce qui concerne l'utilisation de leurs contenus par des prestataires de services en ligne afin qu’ils puissent être rémunérés pour cette réutilisation (cette rémunération étant partagée avec les auteurs) (article 15).  Ce droit a une durée de vie très courte : deux ans. Les articles plus anciens ne sont pas concernés (à comparer avec la durée d’exercice du droit d’auteur qui est de 70 ans après le décès). De plus il ne couvre pas les exceptions prévues par la directive (création d’hyperliens, utilisation de courts extraits, utilisation par des particuliers).
 

Les agrégateurs d'informations ou les services de veille médiatique reposent sur une large réutilisation des publications de presse, avec à la clé des revenus. Or, les éditeurs de publications de presse n'étant pas reconnus comme des titulaires de droits, l'octroi de licences de droits et le respect de ces droits face à des moteurs comme google actualité ou des réseaux sociaux sont souvent inefficaces car trop complexes.
 

- La nouvelle directive améliore la transparence en matière de rémunération des auteurs, interprètes et exécutants. Par exemple, les contrats devront être adaptés pour permettre aux auteurs, interprètes et exécutants d'obtenir une part équitable des profits générés si la rémunération qui avait été convenue est devenue trop faible par rapport au succès de l’œuvre ou de l’interprétation (article 20). Un mécanisme de révocation des droits permettant aux créateurs de récupérer leurs droits lorsque leurs œuvres ne sont pas exploitées est également mis en place (article 22).
La directive étend les possibilités d'utiliser des contenus protégés par le droit d'auteur à des fins d'éducation, de recherche et de préservation du patrimoine culturel: les exceptions permettant de telles utilisations ont été modernisées et adaptées à l'évolution technologique, afin de tenir compte des utilisations en ligne et dans un contexte transfrontière. Ces exceptions à l’application du droit d’auteur concernent la fouille de textes et de données à des fins de recherche, de manière générale, la fouille de textes et de données à d'autres fins, les fins d'enseignement et d'éducation et la préservation du patrimoine culturel (articles 3 et suivants).

 

La fouille de textes et de données couvre les techniques d’analyse informatique automatisée de textes, de sons, d’images, de données pour en dégager des informations, acquérir de nouvelles connaissances et  découvrir de nouvelles tendances.  
 

- Des types de contenus échappent aussi aux nouvelles règles. C’est le cas des très courts extraits de publications de presse, par exemple (article 15). Qu’est- ce qu’un très court extrait ? Selon la directive (considérant 58), il s’agit d’extraits trop brefs pour avoir une incidence sur l'effet utile du droit d’auteur. Une nouvelle disposition concerne les œuvres d’art tombées dans le domaine public. Jusque-là, cela n’autorisait pas pour autant à réaliser, utiliser et partager des copies de cette œuvre, puisque certains États membres accordaient une protection aux copies de ces œuvres d'art. La directive met fin à cette restriction : toute personne peut copier, utiliser et partager en ligne des photos de tableaux, de sculptures et d'œuvres d'art du domaine public qu'elle a trouvées sur l'internet, et les réutiliser (article 14).
 

- Enfin, les utilisateurs particuliers (qui ne font pas un usage commercial) bénéficient aussi de certaines dérogations aux obligations imposées aux plateformes. Par exemple, les internautes pourront continuer à partager des contenus sur les médias sociaux et établir des liens vers des sites web et des journaux. Pour protéger leur liberté d’expression, la directive autorise l’utilisation d'œuvres existantes qu’il s’agisse de les citer, de les critiquer, de les parodier. Cela signifie que les mèmes et les créations parodiques similaires peuvent être utilisés librement (ce n’était pas le cas auparavant, la directive précédente laissant aux Etats la possibilité de l’interdire).

 

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  • Commentaires de décisions de la Cour de Justice de l'Union Européenne et d'arrêts du Tribunal,
  • Conclusions des avocats généraux

 

 

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