Accord sur les investissements entre l'Union européenne et la Chine: contenu et critiques (1)
De la Présidence allemande de l'Union Européenne on a beaucoup commenté les succès sur la réponse collective à l'épidémie de covid-19 et l'adoption du Plan de relance. Mais l'Accord Global sur les Investissements (AGI) intervenu entre la Chine et l'UE le 30 décembre 2020, est également une réussite incontestable pour Madame Merkel à qui il tenait à coeur qu'il soit conclu avant de passer le relais au Portugal qui assure la Présidence tournante de l'UE depuis le 1er janvier 2021. Dans la déferlante de commentaires, souvent élogieux, qui ont accueilli la prouesse diplomatique, des voix discordantes se sont cependant fait entendre pour mettre en garde sur les risques d'un accord avec un état peu connu pour sa loyauté et son respect des règles, qu'elles soient celles des affaires ou qu'il s'agisse des droits des individus. Et, pour poser la question plus pragmatique : les intérêts de l'Union européenne sont-ils bien pris en compte ?
Le contexte
La Chine représente un marché de consommation dynamique de 1,4 milliards d'euros encore trop peu ouvert aux entreprises européennes. Selon la Commission européenne, « les investissements directs étrangers (IDE) de l'Union européenne vers la Chine restent relativement modestes par rapport à la taille et au potentiel de l'économie chinoise » (Commission européenne, Éléments clés de l'accord global UE-Chine sur les investissements). Ces vingt dernières années, les mouvements de capitaux de l'UE vers la Chine réalisés en vue de créer (développer ou maintenir une filiale) et/ou exercer le contrôle sur la gestion d'une entreprise chinoise ont dépassé le chiffre de 140 milliards (les flux cumulés d'IDE de Chine vers l'UE se sont élevés, eux, à près de 120 milliards d'euros).
Les entreprises de l'UE présentes en Chine y investissent dans le secteur automobile (28%), les matériaux de base, y compris les produits chimiques (22%), les services financiers (9%), l'agriculture/alimentation (8%), les produits de consommation (7%), l'énergie (5%), les machines et équipements (5%), la santé/biotechnologie (5% chacun). Les autres secteurs représentent 11% (Commission européenne, Accord global UE-Chine sur les investissements).
L'AGI a pour but de développer les investissements de l'UE en Chine...et vice versa, en mettant fin aux obstacles que rencontrent les entrepreneurs européens pour accéder à un marché, prometteur en termes de marchés à conquérir, mais peu ouvert, contrairement à celui de l'UE. « Des conditions de concurrence plus équitables en Chine » leur seront garanties. En résumé, selon ses promoteurs, « l'accord le plus ambitieux jamais conclu par la Chine avec un pays tiers », est un bon accord pour l'Union européenne, car il permet de rééquilibrer les relations commerciales entre l'UE et la Chine.
Que contient l'accord conclu entre l'Union Européenne-Chine le 30 décembre 2020 ?
Il s'agit d'un accord de principe qui reste à finaliser et qui devra être ensuite approuvé par le Parlement européen et ratifié dans les différents pays membres selon leurs règles constitutionnelles. Les éléments principaux en ont été publiés par la Commission européenne.
1 - Accès au marché chinois
La Chine s'engage à ouvrir son marché en supprimant les interdictions d'accès (autorisations facilitées), les discriminations à l'encontre des entreprises européennes, mais aussi en renonçant à certaines pratiques qui donneraient l'avantage aux entreprises chinoises. Pour uniformiser les conditions de concurrence, la Chine adoptera des règles sur les entreprises publiques chinoises, pour notamment, garantir la transparence des subventions. Les transferts de technologie forcés seront interdits. Les entreprises européennes auront accès aux organismes chinois de normalisation.
Les secteurs concernés par cette ouverture sont, en particulier:
- le secteur manufacturier (le plus important pour les investissements européens en Chine, voir plus haut) : production de véhicules traditionnels et électriques (ex. d'engagements : suppression et élimination des exigences en matière de coentreprise), produits chimiques, équipements de télécommunications, équipements médicaux
- divers secteurs des services : services informatiques en nuage (ils seront ouverts aux investisseurs de l'Union jusqu'à une participation maximale de 50 %), services financiers (ex. d'engagements : suppression des exigences en matière de coentreprise et des plafonds de participation étrangère pour les opérations bancaires, pour la négociation de valeurs mobilières et d'assurances, y compris la réassurance, ainsi que pour la gestion d'actifs), soins de santé privés, services environnementaux (ex. d'engagements : la Chine supprimera les exigences en matière de coentreprise dans des services tels que la gestion des eaux usées, la réduction du bruit, l'élimination des déchets solides, le nettoyage des gaz d'échappement, la protection de la nature et du paysage, l'assainissement ...), transport maritime international (les entreprises de l'UE pourront investir sans restriction dans la manutention du fret, les dépôts et gares de conteneurs, les agences maritimes), services liés au transport aérien.
2 – Engagements de concurrence loyale
- Obligations des entreprises publiques: 30% du PIB chinois est le fait d'entreprises publiques. L'AGI contient des dispositions spécifiques à ces entreprises afin que les décisions qu'elles prennent soient seulement fondées sur des considérations commerciales et en leur interdisant toute discrimination dans leurs achats et ventes de biens ou de services. De plus, la Chine devra fournir, à la demande, des informations spécifiques permettant d'évaluer si le comportement d'une entreprise donnée est conforme aux obligations convenues
- Des subventions transparentes: l'AGI impose des obligations de transparence des subventions dans les secteurs des services.
- Interdiction des transferts de technologie forcés: l'AGI interdit plusieurs types d'exigences en matière d'investissement qui imposent un transfert de technologie (ex : obligation de transférer des technologies au partenaire d'une coentreprise) et interdit toute ingérence de l'État dans l'octroi de licences technologiques. Des dispositions ont pour but également d'améliorer la protection des secrets d'affaires et les informations commerciales sensibles en matière de propriété intellectuelle face aux exigences administratives (par exemple lors de démarches pour certifier d'un bien ou d'un service).
- Accès aux organismes de normalisation, transparence, prévisibilité et équité des autorisations: les règles et les mesures administratives que doivent appliquer les entreprises doivent être connues et prévisibles. De même, l'équité procédurale doit être assurée ainsi que le droit à un contrôle juridictionnel.
3 – Protection des travailleurs et respect de l'environnement
La Chine s'engage dans l'AGI à respecter des valeurs s'appuyant sur les principes du développement durable. Dans les domaines du travail et de l'environnement, la Chine s'engage à ne pas abaisser les normes de protection pour attirer les investissements, à ne pas utiliser les normes en matière de travail et d'environnement à des fins protectionnistes, et à respecter les principes fondamentaux de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) et l'application effective des conventions de l'OIT ratifiées. Elle prend également des engagements spécifiques sur la ratification des conventions fondamentales de l'OIT concernant le travail forcé.
L'AGI comporte aussi l'engagement de mettre en oeuvre l’accord de Paris sur le climat. Dans quel délai ? La ratification des traités et conventions internationales est un acte souverain de l'Etat. Dès lors, l'AGI ne comporte de délai pour cette ratification.
4 – Exécution des engagements et règlement des différends
L'application de l'accord fera l'objet d'un contrôle politique régulier (Vice Président exécutif, du côté de l'UE, Vice-Premier ministre, du côté chinois). Ce mécanisme de suivi est censé permettre d'identifier et de régler des problèmes au fur et à mesure de leur apparition (une procédure d'urgence est également prévue). En cas de persistance du problème, l'AGI comporte un mécanisme de règlement des différends par un groupe d’experts indépendant.
NB : L'accord prévoit que les questions liées au développement durable, notamment en ce qui concerne le travail et le climat, seront suivies par un groupe de travail spécifique, avec participation de la société civile.
Quelles sont les étapes à venir ?
L'AGI n'est qu'une étape dans la mise en place des relations UE-Chine. On a vu qu'un accord était intervenu pour protéger les dénominations. Un autre devrait intervenir pour la protection des investissements afin de moderniser les règles de protection applicables et de parvenir à un système de règlement des différends inspiré des travaux entrepris dans le cadre de la CNUDCI concernant un tribunal multilatéral des investissements.
Quant à l'AGI, le texte doit être finalisé et examiné par des juristes. Il sera ensuite soumis au Conseil de l'UE et du Parlement européen pour approbation.
Ce qui n'est pas acquis compte tenu des critiques que soulève l'accord.