Commentaires et critiques sur le mécanisme d'ajustement carbone de l'Union européenne
Suite de l'article : Avec le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, l'UE dépollue ses importations
Press conference on Carbon Border Adjustment Mechanism (CBAM), 13 decembre 2022
© European Union
La création du MACF (aussi appelé "taxe carbone" de l'Union européenne, bien qu'il ne s'agisse pas d'une taxe) a souvent été qualifiée d’historique par les medias qui ont repris la présentation qui en a été faite, notamment par Pascal Canfin, un des négociateurs pour le Parlement européen : « C’est une première mondiale : nul autre endroit dans le monde ne connecte ses règles du jeu commerciales et son action climatique. C’est inédit et historique »
Est-ce à dire que cet enthousiasme est unanime ? Non, bien sûr. Si en général, le MACF est salué comme une avancée, il n’en suscite pas moins des critiques ou, au minimum, des interrogations.
Les secteurs industriels qui vont être les plus touchés (ex : aluminium qui importe beaucoup plus que le secteur du ciment) craignent évidemment une hausse des prix mais aussi, que contrairement à ce qui est attendu, le MACF n’encourage les délocalisations. Pour une raison simple : dans l’état actuel du texte, il ne concerne pas les produits transformés qui pourront continuer à être importés dans l’Union européenne sans pénalité. Selon l’exemple largement diffusé pour faire comprendre l’absurdité du système, un fabricant de couteau de Laguiole qui importe de l’acier taxé pour fabriquer ses couteaux verra ceux-ci concurrencés par des couteaux importés tout assemblés et qui pourtant contiendront de l’acier chinois par exemple (un encouragement à la contrefaçon aussi).
Pourquoi ce choix ? Parce que le texte proposé n’est qu’un début et a commencé par ce qui est le plus simple à savoir les matières premières. IL est évidemment plus difficile de tracer les différents composants d’un produit fini pour en connaitre le bilan carbone, a fortiori, quand il est aussi complexe qu’une voiture ou un smartphone. Pourtant, à l’évidence, c’est une question qui devra être résolue très vite si l’on veut pas que la création du MACF ne soit en fait l’ouverture d’un « boulevard de délocalisation » comme on a pu le dire (ARTE, « 28 minutes », émission du 15 décembre 2022).
Autre problème : celui des émissions indirectes de carbone. Il est possible de connaitre les émissions directes car partout dans le monde elles sont les mêmes, que l’on produise une tonne d’aluminium en Europe ou en Asie. En revanche, il est plus compliqué de savoir quelles sont les émissions indirectes (qui varient selon la façon dont l’électricité nécessaire à la production est générée). Le règlement, sur ce point également, se concentre largement sur le plus facile : les émissions directes.
Comment vont réagir les consommateurs qui vont devoir payer plus cher les produits ? La question mérite d’être posée si l’on se souvient de ce qui a déclenché, en France, le mouvement des gilets jaunes. Certes, une compensation est prévue pour les artisans, les petites entreprises, les ménages, par le biais d’un Fonds social pour le climat. Sera-t-il suffisant ?
Enfin, un autre point est abordé par certains économistes comme Dominique Seux, celle du moyen choisi. Alors que des pays comme les Etats-Unis subventionnent « massivement » leur industrie pour l’aider à se décarboner (y compris d’ailleurs au mépris des règles de l’OMC), l’UE n’est-elle pas à contretemps en renchérissant les coûts ? (France inter, l’édito eco, 14/12/2022).
Autant d’interrogations qui conduisent à se demander si le MACF est « visionnaire » ou « suicidaire » pour l’économie européenne ? (ARTE, "28 minutes", op. cité); Il reste environ quatre ans pour éviter le scenario noir.