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Accord commercial in extremis entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni (1) : ce qui est réglé

 

 

Rencontre Ursula von der Leyen - Boris Johnson

Rencontre Ursula von der Leyen - Boris Johnson (*)

 

 

Dix mois pour parvenir à un accord commercial post Brexit entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni : le défi paraissait insurmontable. Pourtant, un accord a bien été trouvé et publié le 26 décembre 2020. Il y avait urgence, car faute d’accord, le « chaos » nous était promis et nous en avions eu d’ailleurs un avant-goût avec la fermeture des frontières avec le Royaume-Uni récemment appliquée par la France pendant 48 heures.


L’accord de commerce et de coopération comprend 1259 pages, et se compose de sept parties, trois protocoles et des annexes.
 

Dispositions communes et institutionnelles (1ère partie de l’accord) : il s’agit des dispositions générales, des principes d’interprétation de l’accord, des définitions, et du cadre institutionnel.
C’est dans cette partie qu’est précisée la manière dont l’application de l’accord sera contrôlée. Un conseil de partenariat composé de représentants de l’Union européenne et du Royaume-Uni au niveau ministériel sera chargé de surveiller cette mise en œuvre, et sera compétent pour traiter de toute question relative à l’application et à l’interprétation de l’accord.
Le Royaume-Uni a refusé catégoriquement toute intervention de la Cour de Justice de l’Union Européenne dans l’interprétation des clauses de l’accord et a obtenu gain de cause.
Le conseil de partenariat sera coprésidé par un membre de la Commission européenne et un membre du Gouvernement britannique. Il sera assisté par des comités spécialisés dans le domaine du commerce et, dans certains domaines, par des groupes de travail. Il se réunira en différentes formations en fonction de la matière abordée, à la demande de l’Union européenne ou du Gouvernement britannique et, en toute hypothèse, au moins une fois par an.  
Il pourra formuler des recommandations et prendre des décisions contraignantes. Ces actes seront adoptés d’un commun accord entre l’Union et le Royaume-Uni. Il est précisé que le conseil de partenariat n’interfèrera pas dans le fonctionnement de l’UE et ne pourra "en aucun cas" limiter le pouvoir de décision au niveau de l’Union.


Commerce, transport, pêche et autres dispositions (2ème partie) : dans cette partie sont regroupés les échanges de biens et de services, les domaines de coopération économique et de coopération plus large, comme l’investissement, la concurrence, la transparence fiscale, l’énergie, le transport aérien et routier, la non-discrimination en ce qui concerne certains régimes de mobilité et la coordination de la sécurité sociale, ainsi que la pêche.

 

  • En ce qui concerne le commerce de marchandises, les règles prévoient des conditions plus avantageuses que celles figurant dans les accords de libre-échange habituellement conclus par l’Union européenne puisqu’il n’y a ni tarif douanier ni contingents. En contrepartie de ces avantages exceptionnels, les entreprises doivent veiller à ce que leurs produits soient originaires de l’Union ou du Royaume-Uni. En contrepartie également, le Royaume-Uni a du accepter ce qu’il refusait, à savoir le maintien des normes sociales, de protection de l’environnement, de transparence fiscale, etc..que lui imposait son appartenance à l’Union Européenne. C’est notamment au respect de ces règles que devra veiller le conseil de partenariat, comme à celles qui interdisent aux parties de distribuer des subventions qui pourraient fausser la concurrence, une autre contrainte longtemps refusée par les négociateurs britanniques qui voulaient garder la main sur leurs aides publiques. Des mesures unilatérales de rétablissement des droits de douane ou des contingents pourront être prises par l’Union Européenne ou le Royaume-Uni à titre préventif en cas de suspicion étayée de violation des règles. Là encore, le Royaume-Uni a du céder. Il s’est longtemps opposé à ce que des sanctions puissent être appliquées sans décision des instances prévues pour les différends.

 

A savoir: les mesures préventives de protection des intérêts des parties ne concernent pas que les échanges de marchandises (ex : pêche). De même, l’application de normes sociales, environnementales et autres normes communautaires est exigée dans d’autres secteurs couverts par la partie 2 de l’accord, comme celui des transports, toujours dans l’objectif d’éviter une concurrence déloyale de la part des britanniques.

 

Par ailleurs, les avantages en termes de tarifs douaniers dont bénéficieront les échanges de marchandises ne doivent pas faire oublier que les contrôles douaniers et les formalités administratives destinés à vérifier le respect des normes de sécurité et d’hygiène requises par le pays d’importation, vont désormais s’appliquer. Ce qui va ralentir et compliquer d’autant le passage des frontières.

  

D’autres domaines sont couverts par l’accord:

  • Commerce numérique : des dispositions sont prévues pour éliminer les obstacles injustifiés ainsi que des règles visant à sécuriser les transactions, protéger les données à caractère personnel et garantir les droits de propriété intellectuelle.
  • Transport : la connectivité aérienne et routière continue et durable est assurée mais de manière moins avantageuse que si le Royaume-Uni restait membre du marché unique. Par exemple, en matière de transport aérien, les compagnies titulaires de licences d’exploitation de transporteur aérien britanniques pourront transporter des voyageurs ou des marchandises du Royaume-Uni vers un pays de l’UE. Mais en revanche, elles ne pourront pas desservir des destinations intracommunautaires ou à partir de l’UE. Dans le transport routier, le cabotage sera limité. L’égalité de concurrence entre les opérateurs de l’Union et du Royaume-Uni, de manière à ce que les droits des passagers et la sécurité du transport ne soient pas compromis, font également l’objet de dispositions spécifiques.

Qu’est-ce qu’une compagnie européenne ? Pour qu’une compagnie aérienne puisse pouvoir opérer des vols entre n'importe quels points à l'intérieur de l'UE, son capital doit être détenu au moins à 50% par des actionnaires de l’UE.
 

  • Pêche : les négociations ont achoppé jusqu’au dernier moment sur la question de l’accès des pêcheurs de l’Union européenne aux eaux territoriales du Royaume-Uni. L’accord convient que le Royaume-Uni, en tant qu’État côtier indépendant, exercera un contrôle sur ses eaux et sera en mesure de poursuivre le développement des activités de pêche britanniques, mais également que les pêcheurs européens continueront d’avoir accès aux eaux britanniques pour y exercer leurs activités de pêche. A cette fin, il prévoit un cadre pour la gestion conjointe et durable des stocks halieutiques dans les eaux de l’Union et du Royaume-Uni. Les pêcheurs de l’UE auront donc un accès aux eaux britanniques pendant une période transitoire de 5 ans et demi (donc, jusqu'en juin 2026). Pendant cette période, l'UE renoncera progressivement à 25 % de ses prises (le Royaume-Uni avait proposé 60%, puis 35%). Si le Royaume-Uni limite l'accès ou les captures de l'UE, celle-ci pourra prendre des mesures de rétorsion en imposant des droits de douane sur les produits de la pêche ou d'autres biens britanniques, ou encore suspendre une partie de l'accord commercial.
  • Energie : le Royaume-Uni ne participera plus au marché unique de l’énergie et sort de la Communauté européenne de l’énergie atomique (EURATOM).  Mais pour garantir un approvisionnement sûr et efficace essentiel au fonctionnement des deux parties, l’accord crée un nouveau cadre pour la coopération bilatérale, qui sera moins avantageux, notamment en coût d’approvisionnement, que ne l’est le marché unique. L’accord garantit les interconnexions existantes, entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, entre la Grande Bretagne et la France, les Pays Bas et la Belgique. Des dispositions garantissent l’égalité des conditions de concurrence et la libéralisation des échanges (notamment : conditions applicables aux subventions dans le secteur de l’énergie).


Les parties III et IV de l’accord définissent les cadres nécessaires à la poursuite et au développement de coopérations entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne.
 

C’est le cas de la coopération des services répressifs et judiciaires en matière pénale (3ème partie) qui concerne en particulier la lutte contre la criminalité et le terrorisme transfrontières et les poursuites en la matière. Les domaines clés de la coopération seront :

  • Échange de données: des dispositions relatives à un échange rapide et efficace des données des passagers aériens (données PNR, Passenger Name Records), des données ADN, des données dactyloscopiques et des données relatives à l’immatriculation des véhicules (appelées «données Prüm» – qui n’ont jamais été échangées auparavant entre l’Union et un pays tiers non-membre de l’espace Schengen), des informations sur les casiers judiciaires et des informations opérationnelles – en complément des canaux internationaux, tels qu’Interpol
  • Europol et Eurojust
  • Remise: l’accord prévoit des mesures pour permettre la remise rapide des criminels entre les États de l’Union et le Royaume-Uni
  • Assistance mutuelle: les dispositions relatives à l’assistance mutuelle complètent les conventions du Conseil de l’Europe en matière pénale, avec des mesures telles que le gel et la confiscation de biens
  • Lutte contre le blanchiment de capitaux

Le Royaume-Uni étant un Etat non-membre de l’Union en dehors de l’espace Schengen, il n’aura pas d’accès direct et en temps réel aux bases de données sensibles de l’Union liées à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
Par ailleurs, la poursuite de la coopération policière et judiciaire est subordonnée au respect de la Convention européenne des droits de l’homme (que Boris Johnson avait envisagé de dénoncer pour accélérer les procédures d’expulsion de migrants).

 

Coopération thématique (4ème partie) : la coopération entre les Parties à l’accord en matière de sécurité sanitaire et de cybersécurité peut aller jusqu’à la participation temporaire et limitée du Royaume-Uni à un certain nombre de structures de l’Union, uniquement sur invitation de l’Union, en cas d’apparition de menaces communes spécifiques.
 

La Participation aux programmes de l’Union, bonne gestion financière et dispositions financières fait l’objet de la 5ème partie de l’accord (5ème partie : « Participation aux programmes de l’Union, bonne gestion financière et dispositions financières »).  Elle regroupe les dispositions concernant la poursuite de la participation du Royaume-Uni à un certain nombre de programmes de l’Union européenne, sous réserve d’une contribution financière du Royaume-Uni au budget communautaire. Une liste de ces programmes sera adoptée.
 

La 6ème partie de l’accord est consacrée au règlement des différends qui pourraient se produire lors de son application : il est prévu que si un différend se produit et qu’aucune solution ne peut être trouvée entre les Parties, un tribunal arbitral indépendant pourra être constitué pour régler la question par une décision contraignante. Il avait été question de confier ce rôle à la Cour de Justice de l’Union Européenne, solution refusée par le Royaume-Uni qui a toujours dénoncé la nature supranationale de la jurisprudence de la Cour.
Le tribunal arbitral aura compétence pour les différends relatifs à la plupart des domaines de l’accord y compris à l’égalité des conditions de concurrence et à la pêche. Mais ce n’est pas le seul moyen ouvert à une Partie pour obtenir que l’autre respecte ses obligations. Ainsi, la Partie plaignante pourra réintroduire des droits de douane ou des contingents. Chaque Partie pourra aussi, sous certaines conditions, prendre des mesures de rétorsion croisée chaque fois que l’autre Partie ne se conforme pas à la décision du tribunal arbitral, ou encore, appliquer unilatéralement des mesures de sauvegarde appropriées en cas de graves difficultés économiques, sociétales ou environnementales de nature sectorielle ou régionale.

 

Enfin, la 7ème partie regroupe les dispositions finales : entrée en vigueur, examen et dénonciation de l’accord de commerce et de coopération.
 

Des protocoles complètent le texte :

  • Le protocole sur la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée, et l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts et droits
  • Le protocole relatif à la coordination de la sécurité sociale destiné à protéger les droits en la matière des citoyens de l’Union et des ressortissants du Royaume-Uni qui se trouvent dans une situation transfrontière impliquant le Royaume-Uni et l’Union à partir du 1er janvier 2021. Un large éventail de prestations est couvert, comme les pensions de vieillesse et de survivant, les allocations de décès, les prestations de maladie, les prestations de maternité/paternité liées à la naissance d’un enfant, les prestations en cas d’accident du travail ou les prestations de préretraite. Le protocole garantit que les modalités de coordination de la sécurité sociale qui y figurent sont fondées sur le principe de non-discrimination entre les États membres de l’Union.

 

Suite

 


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* Crédits: Photographe: Etienne Ansotte European Union, 2020 Source: EC - Audiovisual Service

 

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