Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

Citoyenneté européenne à vendre

 

Être citoyen de l’Union européenne est un privilège pour lequel de nombreuses personnes sont prêtes à payer...cher et l'obtention d'un passeport européen donne lieu à un « business lucratif », loin des procédés traditionnels d'acquisition de la nationalité que sont la naissance (filiation ou droit du sol), ou la naturalisation à la suite d'une période de résidence ou encore d'un mariage.
 

De quoi s'agit-il ? Des pays ont mis en place des programmes qui permettent à de riches étrangers d’obtenir, moyennant une contribution financière à l’économie du pays, soit une seconde nationalité (« passeports dorés ») soit un droit de résidence (« visas dorés »). Dans l'Union européenne, trois états membres délivrent des « passeports dorés » (Bulgarie, Chypre, Malte), vingt accordent des « visas dorés » (Bulgarie, Tchéquie, Estonie, Irlande, Grèce, Espagne, France, Croatie, Italie, Chypre, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie et Royaume-Uni, selon le rapport de la Commission européenne du 23/01/2019, date à laquelle le Royaume-Uni était encore membre de l’UE). Dans la pratique, un permis de résidence en cours de validité accorde aux ressortissants de pays tiers des droits de circuler librement, en particulier dans l’espace Schengen. Ainsi, par exemple, le titulaire de titre de séjour pourra circuler librement dans cet espace pendant 90 jours sur une période de 180 jours. De plus, il pourra acquérir le statut de résident de longue durée de l’UE qui est accordé après cinq ans de résidence légale continue dans un État membre de l’UE.
 

En 2005, la Bulgarie a été la première à décider d'attirer des investisseurs étrangers en leur accordant systématiquement la citoyenneté par naturalisation à condition qu'ils effectuent l’investissement requis et remplissent certains critères. Pour le pays, il s'agit d'une source de ressources appréciable car ces documents se monnayent cher. Pour l'étranger fortuné il s'agit d'un sésame qui lui permet la libre circulation dans tout l'espace de l'Union européenne (plus la Suisse) avec la possibilité d'y résider, d'y étudier ou d'y travailler, de s'y faire soigner, d'ouvrir un compte bancaire, acheter des propriétés ou créer des entreprises, et plus généralement bénéficier de toutes les opportunités qu'ont les citoyens de l'UE y compris le droit de voter à certaines élections. C'est pourquoi les passeports sont particulièrement prisés des ressortissants russes, chinois et du Moyen-Orient. Chypre, en 2007, et Malte, en 2013, ont suivi l’exemple de la Bulgarie.
 

La Commission européenne et le Parlement européen s’inquiètent de ces pratiques dans la mesure où elles comportent des risques spécifiques en matière de sécurité (exonération des contrôles applicables aux ressortissants de pays tiers sans titre), de blanchiment d’argent, de fraude fiscale et de corruption. En théorie, le titre de citoyenneté ne peut être obtenu qu’après des procédures de vérification de la situation financière et pénale du demandeur. En pratique, ces procédures sont peu transparentes et donc, conduisent à poser la question de l’utilisation d’argent sale et /ou à des fins délictuelles ou criminelles. Les conséquences négatives pour d’autres États membres peuvent engendrer une perte de confiance mutuelle et mettre en danger les valeurs communes.
 

A la demande du Parlement, la Commission a donc étudié les différents programmes nationaux pour évaluer leur conformité aux valeurs et à la législation européenne. Elle a publié ses conclusions dans un rapport rendu public le 23 janvier 2019. Dans ce rapport, la Commission rappelle que les états sont seuls compétents pour fixer les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité, mais que « cette compétence doit être exercée dans le respect du droit de l’Union ». Et « l’octroi de la naturalisation sur la seule base d’un paiement monétaire, sans autre condition attestant l’existence d’un lien réel avec l’État membre accordant la naturalisation et/ou ses citoyens, s’écarte des modes traditionnels d’octroi de la nationalité dans les États membres et affecte la citoyenneté de l’Union ». Quant aux programmes de résidence par investissement, ils doivent également faire l’objet de contrôles stricts dans la mesure où ils n’impactent pas le seul pays mais créent des obligations aux autres États membres qui doivent accorder la liberté de circulation aux ressortissants des états tiers qui en bénéficient. Or, la Commission européenne a constaté que dans plusieurs États membres, la condition de résidence prévue dans le cadre des programmes de résidence par investissement n’exige pas une résidence physique continue des investisseurs qui peuvent en fait séjourner pour une durée très limitée (la Commission cite les exemples du Portugal qui exige une durée de résidence de sept jours par an, et de Malte, Grèce et la Bulgarie qui se contentent d’un seul jour). Dans ces conditions il est impossible de contrôler si la condition de résidence effective pendant cinq ans qui est nécessaire pour devenir résident de longue durée de l’UE est remplie. De même il est impossible de conclure à l’existence d’un lien réel de l’étranger résident avec l’Union européenne, alors même que le statut de résident peut être le prélude à l’acquisition de la nationalité.
 

Pour toutes ces raisons et en l’absence d’informations permettant de lever les doutes nés de l’étude de 2019, la Commission européenne a décidé d’ouvrir des procédures d’infraction contre Chypre et Malte. Annoncée le 20 octobre 2020, cette décision est la première étape d’une procédure d’infraction. L’argument de la Commission est que « l'octroi de la nationalité – et donc de la citoyenneté de l'Union – par ces États membres en échange d'un paiement ou d'un investissement prédéterminé et sans que les personnes acquérant la nationalité ne fassent état d'un lien réel avec les États membres concernés n'est pas compatible avec le principe de coopération loyale consacré à l'article 4, paragraphe 3, du traité sur l'Union européenne ». Elle porte également atteinte au statut de citoyen de l'Union prévu à l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
 

Les gouvernements chypriote et maltais ont deux mois pour répondre aux lettres de mise en demeure de la Commission. Si leurs réponses ne sont pas satisfaisantes, la Commission pourra émettre un avis motivé sur ce sujet. La Commission a également envoyé une lettre à la Bulgarie pour lui demander des informations complémentaires. La Bulgarie a un mois pour répondre.
 

La pression de l’Union européenne sur les programmes de citoyenneté et de résidence se resserre donc.  Dans une résolution du 10 juillet 2020, consacrée à la politique de l’Union en matière de prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, le Parlement européen a une nouvelle fois appelé les États membres à supprimer, dans les meilleurs délais, tous les programmes existants de citoyenneté par investissement ou de résidence par investissement. En août 2020 la chaine Al Jazeera est venue apporter du grain à moudre aux institutions européennes. Elle révélait avoir piégé de hauts fonctionnaires chypriotes ainsi que le Président du parlement national, enregistrés à leur insu en train de proposer d’aider un cadre chinois fictif ayant un casier judiciaire à obtenir un passeport chypriote grâce au programme national de citoyenneté par l’investissement.
 

Suite au tollé, Chypre a annoncé mettre fin aux  "passeports dorés" à partir du 1er novembre. Il reste à convaincre les autres états de faire de même.  Car les demandeurs se pressent aux portes de l’UE. Il y en a même de nouveaux : les britanniques.

 

 



 

Nationalité ou titre de résidence par investissement, mode d’emploi (source : rapport du 23 janvier 2019 de la Commission européenne)
 

Acquisition de la nationalité
Investissement demandé :
1 000 000 euros en Bulgarie,  
650 000 euros dans un fonds d’investissement national, plus un investissement de 150 000 euros et propriété ou location d’un bien immobilier à Malte
2 000 000 euros et propriété d’un bien immobilier à Chypre.
Des investissements supplémentaires sont demandés pour les membres de la famille à Chypre et à Malte.
Les investissements peuvent prendre la forme d’investissements en capital, d’investissements immobiliers, d’investissements en obligations d’État, de contributions ponctuelles au budget de l’État.
Les demandeurs se voient délivrer un permis de résidence (titre de séjour) au début de la procédure de demande de citoyenneté. Le simple fait d’être titulaire d’un permis de résidence pour la durée requise suffit pour bénéficier du programme. La résidence effective n’est pas une condition obligatoire : les demandeurs peuvent acquérir la citoyenneté bulgare, chypriote ou maltaise, et donc, la citoyenneté de l’UE, sans jamais avoir réellement résidé dans l’État en question.
Les autres conditions imposées au demandeur pour démontrer un lien avec le pays dont il demande la nationalité, ne sont pas plus draconiennes ! Il y a, en Bulgarie, l’obligation de passer un entretien, mais aucune condition quant à la maîtrise de la langue bulgare et à la connaissance de la vie publique du pays. Les autorités chypriotes considèrent que l’investissement à Chypre constitue, en soi, un lien suffisant entre le demandeur et Chypre. A Malte, les demandeurs sont interrogés sur leurs liens avec Malte au cours de la phase finale de la procédure de naturalisation. Il leur est demandé de présenter des justificatifs montrant qu’ils ont voyagé à Malte ou que, par exemple, ils ont fait des dons à des organisations caritatives de Malte, l’adhésion à un club de sport local ou à une association culturelle ou sociale locale…
Résidence par investissement
Montant de l’investissement demandé :  de 100 000 euros à plus de 5 000 000 euros.
Type d’investissement : investissements en capital, investissements immobiliers, investissements en obligations d’État, don ou dotation d’une activité contribuant au bien public, contributions ponctuelles au budget de l’État. Un investissement autre que financier, comme la création d’emplois ou la contribution à l’économie, peut aussi être demandé (c’est le cas en Bulgarie, en Tchéquie, en Espagne, en France, en Croatie, en Lettonie, aux Pays-Bas, au Portugal, en Grèce).
La résidence effective n’est pas forcément requise. Or, un titre de séjour acquis par investissement peut être considéré comme une preuve du lien réel avec le pays pour obtenir la naturalisation dans plusieurs États membres (Bulgarie, Tchéquie, Estonie, Irlande, Grèce, France, Lettonie, Lituanie, Hongrie, Malte, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Royaume-Uni ), sans que d’autres exigences soient imposées.


 

 

 

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