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Vers le salariat des travailleurs des plateformes numériques

 

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Livreur Uber eats Photo by Mak on Unsplash

 




Après la Cour de Justice de l'Union Européenne, c'est au tour de la Commission de se pencher sur les conditions de travail des employés des plateformes numériques. Les travailleurs concernés sont plus de 28 millions, selon les chiffres donnés par la Commission européenne et on estime qu'ils seront 43 millions en 2025.

Les plateformes de travail numériques sont des entreprises basées sur l'internet qui jouent le rôle d'intermédiaires entre des travailleurs et des clients tiers, et qui organisent le travail fourni. Le travail peut être effectué soit dans un lieu physique déterminé (livraison de repas, services de VTC, tels ceux qui sont fournis par Uber), soit à distance, en ligne (saisie de données, services de traduction, etc.). Ces plateformes mettent en relation l’offre et la demande de main d’œuvre ou de services grâce à des technologies algorithmiques. Elles permettent à des personnes qui sans elles, pourraient avoir des difficultés à accéder au marché du travail, de gagner leur vie ou de s'assurer un revenu supplémentaire. Leur utilité n’est pas contestable.

Mais diverses affaires médiatisées ont montré que le sort des personnes qui travaillent par l'intermédiaire de plateformes de travail numériques est parfois, voire souvent, loin d'être enviable. Selon la Commission, environ 55 % de ces travailleurs gagnent moins que le salaire horaire net du pays dans lequel elles travaillent. En moyenne, elles consacrent 8,9 heures par semaine à des tâches non rémunérées (recherche, attente, etc.), pour 12,6 heures de tâches rémunérées. Leur statut professionnel qui est le plus souvent celui des travailleurs indépendants est en réalité le moyen pour la plateforme d’échapper aux contraintes du contrat de travail. Les travailleurs sont ainsi souvent privés des droits dont ils pourraient bénéficier s’ils étaient salariés (par exemple, le droit à un salaire minimum s'il existe dans le pays où ils exercent, à la réglementation du temps de travail et à la protection de la santé, aux congés payés ou à un meilleur accès à la protection contre les accidents du travail, aux prestations de chômage et de maladie, ainsi qu'aux pensions de vieillesse…). Or qui décide de ce statut ? La plateforme (comme le rappelle la Commission européenne, plus de 90 % des plateformes de travail numériques opérant dans l'Union qualifient les personnes qui travaillent par leur intermédiaire d’indépendants). Des travailleurs qui contestaient leur statut ont saisi la justice. Le plus souvent, les juges ont décidé de requalifier les contractants indépendants de travailleurs salariés et de requalifier les plateformes d'employeurs et non pas d’intermédiaires. Mais quelques juridictions ont estimé qu’il n’y avait pas de contrat de travail. Et il reste encore de nombreux litiges en cours.

Dans ce contexte, la Commission européenne a présenté, le 9 décembre 2021, une proposition de directive relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme (le même jour, elle a également rendue publique une communication intitulée «De meilleures conditions de travail pour une Europe sociale plus forte: tirer pleinement parti de la numérisation pour l'avenir du travail»).

La proposition de directive a plusieurs objectifs:


-Clarifier le statut professionnel des travailleurs des plateformes grâce à des critères précis, ce qui leur permettra de bénéficier des droits en matière de travail et de protection sociale. Selon la directive proposée, les personnes qui réalisent un travail via une plateforme se verront accorder le statut professionnel juridique correspondant à leurs modalités de travail réelles. Un certain nombre de critères sont prévus par la directive pour déterminer si une plateforme de travail numérique exerce un contrôle sur une personne, et donc si cette dernière doit être présumée être un travailleur salarié. Si au moins deux des critères sont remplis, la plateforme est considérée comme un employeur.
Les critères pris en considération sont le pouvoir de déterminer effectivement le niveau de rémunération, ou d’en fixer les plafonds, le pouvoir d’imposer des règles contraignantes au travailleur dans la prestation du service ou du travail, le contrôle exercé sur la réalisation de celui-ci, la fixation d’éléments d’organisation du travail comme le temps de travail, les horaires, le pouvoir de l’employeur de restreindre effectivement la possibilité de se constituer une clientèle ou d'effectuer des travaux pour un tiers (article 4 de la proposition de directive).

Ce sera à la plateforme de travail numérique de prouver qu’elle n’est pas un employeur si elle affirme que la relation contractuelle n'est pas une relation de travail. La directive instaure une présomption de salariat dans les plateformes numériques.

-Accroître la transparence, les droits et la responsabilité en ce qui concerne la gestion algorithmique sur les plateformes de travail numériques. Les travailleurs doivent pouvoir savoir et comprendre comment les tâches sont attribuées et les prix, fixés. Et ils doivent pouvoir contester, si nécessaire, les décisions qui ont une incidence sur les conditions de travail. Pour cela, les plateformes devront leur donner les informations nécessaires au sujet de l’utilisation et des principales caractéristiques des systèmes de surveillance automatisés utilisés pour surveiller, superviser ou évaluer l’exécution du travail. Elles devront faire de même pour les systèmes de prise de décision automatisés qui sont utilisés pour prendre ou appuyer des décisions ayant des répercussions sur les conditions de travail (article 6).
La directive impose aussi une surveillance humaine des systèmes automatisés : les conséquences sur les conditions de travail (temps de travail, rémunération…) des décisions individuelles prises ou appuyées par les systèmes de surveillance automatisés devront être régulièrement évaluées.

-Pour améliorer le respect de la réglementation y compris dans les situations transfrontières, les plateformes de travail numériques devront déclarer le travail dans le pays où il est effectué et de fournir aux autorités nationales des informations sur les personnes qui travaillent par leur intermédiaire et sur leurs conditions générales.

-La directive promeut aussi la négociation collective et le dialogue social
En imposant l’information et la consultation des représentants des travailleurs des plateformes ou, s’il n’y en n’a pas, des travailleurs eux-mêmes sur les décisions en matière de gestion algorithmique, par exemple si elles envisagent l’introduction ou des modifications substantielles de systèmes de surveillance et de prise de décision automatisés. La matière étant très technique, la directive prévoit qu’ils pourront être assistés par un expert de leur choix.

Par ce texte, c’est donc un véritable changement d’approche du modèle social des plateformes que préconise la Commission européenne. Et pour tout dire, un progrès social plus que bienvenu. La question qui se pose est de savoir comment trouver le moyen de concilier ce progrès social et la viabilité économique des plateformes. Celles-ci vont en effet perdre, si la directive est adoptée, l’avantage concurrentiel dont elles disposaient par rapport aux entreprises traditionnelles, en échappant à l’obligation de verser des cotisations sociales.

Et ce n’est sans doute qu’un début : le monde du travail évolue rapidement dans le contexte de la nouvelle économie. Le progrès technologique fait surgir de nouveaux défis « auxquels il faudra peut-être s'attaquer un jour », prévient la Commission. L'utilisation des algorithmes dans le monde du travail dans son ensemble est à présent dans sa ligne de mire.

 

 

 

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  • Conclusions des avocats généraux

 

 

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