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Conditions d'application de la directive européenne sur le temps de travail aux gendarmes

 

 

Toujours pas de 35 heures pour les militaires (nouvel épisode) ! Après la Cour de Justice de l’Union Européenne, c’est au tour du Conseil d’Etat de se pencher sur la question de l’application aux militaires de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.


Le Conseil d’Etat a été saisi d’une affaire dans laquelle M.Q., un sous-officier de gendarmerie affecté à la gendarmerie départementale, avait demandé au Ministre de l'intérieur de prendre les mesures nécessaires pour assurer l'application à la gendarmerie départementale des dispositions de l'article 6 de la directive 2003/88/CE qui limitent la durée hebdomadaire du temps de travail. Mais le statut militaire qui inclut les gendarmes impose une obligation de disponibilité : " Les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu " selon l’article L. 4121-5 du code de la défense.  La demande de M.Q avait été rejetée le 18 décembre 2019. Il avait alors saisi le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de cette décision.
 

Le 17 décembre 2021 (décision n°437125), le Conseil d’Etat rejette la requête du gendarme. Il statue en Assemblée du contentieux ce qui est sa formation la plus solennelle, signe de l’importance que revêt cette décision. Et pour cause : elle porte sur un sujet sensible, celui de l’application d’une règle de droit communautaire dans un domaine que l’Etat considère lié à l’expression de la souveraineté nationale. Elle s’inscrit ainsi dans une série de décisions récentes dans lesquelles des juridictions suprêmes nationales ont eu à aborder, plus ou moins frontalement, la question de la primauté du droit communautaire et de la confrontation de la norme communautaire à la Constitution. Dans sa décision du 21 avril 2021, il a rappelé que la Constitution demeure la norme suprême du droit national et que l’application du droit de l’UE ne doit pas compromettre en pratique « des exigences constitutionnelles qui ne sont pas garanties de façon équivalente par le droit européen ». Si tel était le cas, le juge national devrait faire prévaloir la Constitution et ne pas appliquer la règle de droit communautaire. Mais dans sa décision du 17 décembre, le Conseil d’Etat ne s’aventure pas sur ce terrain. Il s’appuie sur l’interprétation de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui dans son arrêt du 15 juillet 2021reconnaît aux États la possibilité de ne pas appliquer la directive aux forces armées si cela les empêche d’accomplir leur fonction essentielle qui est d’assurer la préservation de l’intégrité territoriale de l’Etat et la sauvegarde de la sécurité nationale.
 

Le juge rappelle tout d'abord que la libre disposition de la force armée est une exigence constitutionnelle qui implique de garantir en tout temps et en tout lieu, la disponibilité des forces armées pour assurer la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation. Et il ajoute aussitôt qu'en l'espèce, l’organisation du temps de travail dans la gendarmerie départementale ne méconnait pas les dispositions de la directive du 4 novembre 2003.
 

S'étant ainsi exonéré d'avoir à tirer les conséquences d'une éventuelle contradiction entre la norme européenne et la norme constitutionnelle, le Conseil d'Etat passe au second point de son raisonnement, celui de l'examen du champ d’application de la directive. Il se réfère à l’arrêt de la CJUE du 15 juillet 2021, pour rappeler que la directive s’applique aux militaires (tout en reconnaissant qu’il y a des exceptions « significatives » à cette application en fonction des tâches à accomplir).

Reste alors à savoir si la réglementation nationale du temps de travail dans la gendarmerie départementale est compatible avec l’article 6 de la directive. Pour répondre à cette question, le Conseil d’Etat examine les règles sur le repos hebdomadaire qu’il confronte aux « spécificités propres à l'état militaire » et à l’organisation particulière de la gendarmerie qui requièrent notamment la disponibilité des personnels. Cela le conduit à écarter les astreintes dans le décompte de la durée hebdomadaire du travail dans la mesure où les gendarmes sont logés en caserne et qu’ils assurent donc une grande partie des astreintes chez eux. Le Conseil d’Etat déduit de cette analyse que « l'organisation de la gendarmerie départementale assure que le temps de travail, au sens de cette directive, des militaires qui y servent est effectivement inférieur à quarante-huit heures par semaine, le respect de cette durée étant vérifié sur une période pouvant aller jusqu'à six mois » (considérant 43).

 

Conclusion

En constatant que le droit français est compatible avec la directive 2003/88, le Conseil d’Etat évite, dans le cas d’espèce, de devoir juger si l’application de la directive contredit les dispositions constitutionnelles. Mais il rappelle dans cette décision que l’UE doit respecter « l'identité nationale des Etats membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles et, d'autre part, les fonctions essentielles de l'Etat, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale » (termes utilisés par la CJUE dans son arrêt du 15 juillet 2021) (considérant 14).  Le principe de libre disposition de la force armée est une exigence constitutionnelle. Une disposition de droit communautaire qui ne respecterait pas ce principe ne serait donc pas applicable.

 

 

Voir aussi

Pas de 35 heures pour les militaires fançais! (commentaire de la décision de la Cour du Justice de l'Union européenne du 15 juillet 2021)


 

 

 

Les PLus

 

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Jurisprudence

 

  • Commentaires de décisions de la Cour de Justice de l'Union Européenne et d'arrêts du Tribunal,
  • Conclusions des avocats généraux

 

 

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