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Les eurodéputés catalans indépendantistes privés d’immunité

 

Barcelone - toit de la casa Mila, la Pedrera

Barcelone - Toit de la casa Mila, "La Pedrera"

© Eurogersinformation, 2021

 


Carles Puigdemont, Toni Comín et Clara Ponsatí sont des élus catalans actuellement accusés en Espagne de sédition pour avoir organisé un referendum portant sur l’indépendance de la Catalogne en octobre 2017. Ayant quitté l'Espagne, ils font l'objet de mandats d'arrêt européens lancés par la justice de ce pays. Un temps protégés par leur immunité de députés européens, ils sont à nouveau susceptibles d'être extradés, depuis que cette immunité a été levée par le Parlement européen.

 

Petit rappel à l’attention de ceux qui auraient manqué des épisodes du feuilleton catalan

Le Parlement catalan avait voté le 6 septembre 2017 une loi autorisant la tenue d’un referendum d’autodétermination.  Cette loi avait été jugée contraire à la Constitution par le Tribunal constitutionnel espagnol. Pourtant, le referendum avait été maintenu. Avec une participation de 42,38%, le vote oui l’avait emporté à 90%.

S'en est suivie une crise politique durable entre l’état espagnol et les indépendantistes catalans, les résultats du referendum n’ayant pas été reconnus car il violait la Constitution. Les principaux acteurs de la campagne politique et de l’organisation du referendum ont fait l’objet de poursuites pour, notamment, sédition (l’article 544 du Code pénal espagnol vise « les personnes qui, sans être considérées comme rebelles au titre de l’article 472 du même Code, se soulèvent publiquement et tumultueusement pour empêcher, par la force ou en dehors des voies légales, l’application des lois ou, notamment, des décisions de justice »). Le délit de détournement de fonds publics a également été imputé à certains d’entre eux. Certains leaders indépendantistes ont été par la suite jugés et condamnés à des peines de prison. D’autres, comme Carles Puigdemont (Président de la Generalitat de Catalogne au moment des faits), Toni Comín (conseiller -ministre- à la santé sous la présidence Puigdemont) et Clara Ponsatí (conseillère à l'enseignement) ont préféré la fuite pour se soustraire à la justice espagnole. Divers mandats d’arrêt européens (MAE) lancés contre eux par la justice espagnole ont échoué.

Lors des élections européennes de mai 2019, Carles Puigdemont, Toni Comín et Clara Ponsatí ont été élus députés européens. Dès lors, pour que les poursuites contre eux puissent suivre leur cours, il fallait lever leur immunité parlementaire.

 

Le Parlement européen vote la levée de l’immunité parlementaire de Carles Puigdemont, Toni Comín et Clara Ponsatí

L’immunité des députés européens est régie par divers articles du règlement intérieur du Parlement européen, dont l’article 9 qui définit la procédure de levée de cette immunité.

Si une autorité nationale compétente demande au Parlement européen de lever l’immunité d’un député (ou si un député ou ancien député demande que son immunité soit maintenue), le président du Parlement annonce la demande en séance plénière et la renvoie à la commission des affaires juridiques, qui est la commission parlementaire compétente en l’espèce.
La levée de l’immunité des trois députés demandée par le Président de la Cour suprême espagnole a été reçue le 13 janvier 2020 par le Parlement européen.
La commission des affaires juridiques a instruit la demande. Les députés concernés pouvaient être entendus et présenter les documents, pièces ou éléments de preuve qu’ils jugeaient utiles pour faire valoir leurs arguments.
La commission a adopté ensuite un rapport recommandant, en l’occurrence, que le Parlement européen approuve la demande de levée d’immunité du député concerné.

Ces rapports sont accessibles au public (Clara Ponsatí, Carles Puigdemont, Toni Comín).

Les résultats du vote au Parlement européen ont été connus le 9 mars 2021 : sur 693 votants, 400 ont voté pour la levée de l'immunité, 248 contre, et 45 se sont abstenus, en ce qui concerne Carles Puigdemont (404 pour, 247 contre, et 42 abstentions pour les votes sur la levée de l'immunité de Carla Ponsanti et de Toni Comin)
 

Le Parlement européen rappelle dans ses résolutions qu'il ne lui revient pas de mettre en question les mérites des systèmes juridiques et judiciaires nationaux, ni d' évaluer ou de mettre en question la compétence des autorités judiciaires nationales. Il se limite à constater que les conditions posées pour la levée de l'immunité sont remplies dans les cas des trois députés. Notamment, l’immunité parlementaire ne peut être maintenue car elle a pour objet de protéger les députés contre des procédures judiciaires « visant des activités menées dans l’exercice des fonctions parlementaires et indissociables de celles-ci », ce qui n'est pas le cas en l'espèce. L'accusation portée contre les trois eurodéputés n’est « manifestement pas » liée à leur fonction de député au Parlement européen mais à leurs fonctions antérieures au sein de la Generalitat de Catalogne.

 

Et après?

Il faut rappeler au préalable que le fait de lever l’immunité d'un député ne revient pas à le déclarer coupable. Il permet seulement le lancement ou la reprise de procédures judiciaires.  C’est aux autorités espagnoles qu'il reviendra ensuite de décider si le mandat de député européen doit être retiré à Clara Ponsanti, Carles Puigdemont et Toni Comin.
 

Si tôt connu le vote du Parlement européen, le juge espagnol LLarena, chargé de l’affaire, et qui avait émis les mandats d’arrêt contre les indépendantistes en fuite, a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union Européenne pour que celle-ci se prononce sur la portée du mandat d’arrêt européen.
 

Avant de réactiver les mandats émis contre les trois indépendantistes, le juge LLarena veut manifestement se prémunir contre un nouvel échec en demandant à la CJUE de mettre de l’ordre dans les interprétations divergentes qui ont été faites par les autorités judiciaires espagnole (auteur des MAE), et belge et allemande à qui il avait été demandé d’exécuter ces mandats et qui s’y étaient refusées, estimant que les conditions requises n’étaient pas réunies. Les articles 3 et 4 de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen prévoient plusieurs motifs de refus d’exécution d’un MAE. Les juges s’en étaient prévalus au grand dam des autorités espagnoles qui estimaient qu’ils avaient fait une interprétation trop large des articles en question et outrepassé le rôle que leur confère la décision cadre dans la procédure du MAE. D’autre part la compétence du juge LLarena pour émettre le MAE avait également été mise en doute.
 

D’où les questions, nombreuses, posées par le juge LLarena à la CJUE :
 

- La décision cadre permet-elle à l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen de refuser la remise de la personne qu’il vise sur la base de motifs prévus par la législation nationale mais non par la décision cadre ?

- En cas de réponse positive à la question précédente, l’autorité judiciaire d’émission d’un MAE doit-elle rechercher et analyser les différentes règles nationales pour prendre en compte d’éventuels motifs de refus d’exécution non prévus dans la décision cadre ?


- Au vu des réponses données aux questions précédentes, et en prenant en compte le fait que l’article 6 de la décision cadre précise que la détermination de l’autorité judiciaire compétente pour émettre un MAE résulte du droit national de l’Etat d’émission : cette disposition doit-elle être interprétée dans le sens que l’autorité judiciaire d’exécution peut mettre en doute la compétence de l’autorité judiciaire d’émission et refuser de ce fait d’exécuter le mandat ?


- La décision cadre confère-t-elle à l’autorité judiciaire d’exécution la possibilité de refuser la remise de la personne faisant l’objet du mandat d’arrêt car elle estime qu’il existe un risque de violation de ses droits fondamentaux dans l’Etat d’émission du mandat, sur la base du rapport d’un groupe de travail remis à la juridiction d’exécution par la personne visée par le mandat d’arrêt ? Un tel rapport constitue-t-il un élément objectif, fiable, précis, qui puisse justifier, comme l’exige la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, le refus de la remise de la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen ?

NB : Cette dernière question fait référence à un avis consultatif du Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (opinion 6/19, Spain, WGAD/2019/ESP/OPN/1) qui, saisi par des élus indépendantistes incarcérés à la suite du referendum, avait publié un document très critique à l’égard de l’Etat espagnol accusé de les détenir arbitrairement, demandant leur libération et enjoignant l’Etat espagnol à les indemniser.

- En cas de réponse affirmative, quels sont les éléments exigés par le droit de l’UE pour qu’un Etat membre puisse estimer qu’il existe un risque sérieux de violation des droits fondamentaux de la personne poursuivie dans l’Etat d’émission du mandat ?

- Les réponses aux questions qui précèdent dépendent-elles du fait que la personne dont la remise est sollicitée ait été mise en mesure de contester devant les autorités judiciaires d’émission la compétence de l’autorité judiciaire pour émettre le mandat, le mandat et la manière dont ses droits fondamentaux sont garantis ?


- Quelle incidence a le fait que l’autorité d’exécution prenne la décision de refuser un mandat d’arrêt européen pour incompétence de l’autorité d’émission ou risque de violation des droits fondamentaux sans avoir demandé à l’autorité judiciaire d’émission l’information complémentaire qui aurait pu être nécessaire pour prendre cette décision ?

- Si, d'après les réponses aux questions précédentes, il apparaît que, dans les circonstances de l'espèce, la décision-cadre 2002/584 / JAI s'oppose au refus de la remise d'une personne sur la base des motifs de refus invoqués, l’autorité judiciaire d’émission peut-elle émettre un nouveau mandat d’arrêt européen contre la même personne et adressé au même Etat membre ?

La manière dont sont rédigées ces questions montre clairement l’irritation du juge et sa volonté de convaincre que les règles du mandat d’arrêt européen ont été violées. Nous verrons si la Cour de Justice de l’Union Européenne sera du même avis.

Quant aux trois eurodéputés, ils peuvent continuer à exercer leur mandat tant que celui-ci ne leur est pas retiré par les autorités de leur pays. Pour le moment, le mandat d’arrêt européen à leur encontre est suspendu à la décision de la CJUE. Mais il existe toujours le risque de l’extradition qui est plus facile aujourd’hui entre la France et l’Espagne. Par prudence, Carles Puigdemont devrait renoncer à ses meetings à Perpignan.


 

 

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