Salaire minimum européen : la proposition attendue est publiée
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© European Union 2018 - Source : EP
Annoncée en janvier 2020, (il s’agissait alors de consulter les partenaires sociaux afin de recueillir leurs avis), la proposition de créer un salaire minimum au niveau de l’Union européenne a été publiée par la Commission européenne, le 28 octobre 2020.
Le nombre de travailleurs pauvres s’accroît : le pourcentage est passé de 8,3% de la main d’œuvre totale de l’Union européenne en 2007 à 9,4% en 2018, selon les chiffres rappelés par la Commission. 21,7% de la population de l’Union européenne est menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale, ceci dans un contexte de crise qui aggrave les inégalités et risque de faire basculer plus d’Européens vers la précarité (communiqué du Parlement européen du 15 février 2021, Pauvreté des travailleurs : ce que demandent les députés)
Dans cette Europe sociale si lente à se construire, même les travailleurs qui bénéficient d’un salaire minimum garanti par la loi nationale (dans 21 pays membres) ou par les conventions collectives (Danemark, Italie, Chypre, Autriche, Finlande et Suède) n’ont pas des salaires suffisants (des salaires minimaux « adéquats », selon la formule de la Commission européenne). « Dans la majorité des États membres disposant de salaires minimaux légaux nationaux », remarque la Commission « ceux-ci sont trop bas par rapport aux autres salaires ou ne suffisent pas à assurer une vie décente, même s’ils ont augmenté ces dernières années. Dans presque tous les États membres, les salaires minimaux légaux nationaux3 sont inférieurs à 60 % du salaire médian brut et/ou à 50 % du salaire moyen brut. En 2018, dans neuf États membres, le salaire minimal légal prévu pour un célibataire était inférieur au seuil de risque de pauvreté ».
L’objectif de la proposition de directive qui vient d’être publiée est donc, non seulement de parvenir à un salaire minimum dans tous les pays, pour tous les travailleurs, mais aussi à ce que ce salaire soit suffisamment rémunérateur pour permettre de vivre dignement.
Il ne s’agit pas d’harmoniser les législations nationales (l’Union européenne n’en a pas les compétences) mais d’édicter des prescriptions minimales en se fondant sur l’article 153, paragraphe 2, point b), du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne). Ce qui signifie que les États qui ont déjà des règles plus favorables que celles qui figurent dans la directive proposée ne devront pas modifier leurs systèmes de fixation du salaire minimal. Les États peuvent aussi adopter des normes plus protectrices que les normes minimales énoncées dans le texte. La proposition de directive établit un cadre européen et n’interfère pas avec la liberté des États membres de fixer des salaires minimaux légaux ou de s’en remettre aux conventions collectives, conformément aux traditions nationales. Elle n’impose aucune obligation d’introduire un salaire minimal légal dans les États membres où il n’existe pas ou de rendre les conventions collectives d’application générale.
La large marge de décision laissée aux Etats est la limite, imposée par ceux-ci, à l’intervention de l’Union européenne dans un domaine qu’ils considèrent devoir rester de leur compétence.
Les principales dispositions de la proposition de directive sont les suivantes :
- Le champ d’application se veut large afin d’inclure le plus grand nombre possible de travailleurs dans la garantie du salaire minimum : travailleurs ayant un contrat de travail ou une relation de travail au sens de la législation, des conventions collectives ou de la pratique dans chaque État membre. L’objectif est d’englober les travailleurs qui ont des emplois atypiques (travailleurs à la demande, travailleurs intermittents, faux indépendants, travailleurs des plateformes, stagiaires, apprentis…).
- Les négociations collectives doivent être promues de façon à couvrir le plus grand nombre de travailleurs. Les Etats dans lesquels la couverture des négociations collectives n’atteint pas au moins 70 % des travailleurs doivent prendre des mesures pour favoriser et faciliter la tenue de négociations collectives, et en informer la Commission européenne.
- En ce qui concerne les salaires minimaux fixés par la loi, la directive proposée prévoit qu’ils doivent être déterminés et revalorisés selon des critères clairs et stables, qui garantissent qu’ils seront suffisants pour assurer une vie décente. La directive donne une liste des éléments à prendre en compte : pouvoir d’achat des salaires minimaux légaux, compte tenu du coût de la vie et de la contribution des impôts et des prestations sociales; niveau général et la répartition des salaires bruts; taux de croissance des salaires bruts; évolution de la productivité de la main-d’oeuvre.
- Les variations dans les salaires minimaux doivent être limitées si elles conduisent à les dégrader. Les retenues injustifiées ou disproportionnées doivent être interdites (par exemple, retenues injustifiées ou disproportionnées liées à l’équipement nécessaire à l’exécution d’un travail ou résultant de prestations en nature, comme le logement).
- La directive prévoit également la participation effective des partenaires sociaux à la fixation et à l’actualisation des salaires minimaux légaux. Ils doivent être associés à l’élaboration des critères assurant un niveau satisfaisant des salaires minimaux, aux revalorisations, à l’établissement des variations et des retenues éventuelles, à la collecte de données et à la réalisation d’études dans ce domaine.
Enfin, la proposition de directive contient également un ensemble de dispositions transversales. Par exemple, dans l’exécution des marchés publics et des contrats de concession, les entreprises doivent respecter les salaires minimaux qu’ils aient été fixés collectivement ou par la loi.
Lors des consultations préalables à l’élaboration de la proposition, les partenaires sociaux se sont montrés favorables aux objectifs et au contenu possible de la directive. Mais, in s’en doute, alors que les syndicats de travailleurs ont demandé à la Commission de proposer une directive prévoyant des exigences minimales contraignantes, aucune organisation d’employeurs ne s’est ralliée à cette idée. S’il y avait eu un consensus, les partenaires sociaux auraient pu engager des négociations pour conclure un accord au niveau de l’Union, comme le prévoit l’article 155 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, ce qui aurait pu déboucher sur une législation européenne plus contraignante.
La Confédération Européenne des Syndicats (CES) ne renonce pas et réclame des modifications à la proposition de directive. Dans un communiqué du 18 février 2021, elle rappelle sa revendication qu’un « seuil de décence » soit intégré dans la législation afin « de garantir que le salaire minimum légal ne puisse jamais être inférieur à 60% du salaire médian et à 50% du salaire moyen de l’État membre concerné » (CES communiqué de presse Une directive européenne et une augmentation salariale pour 24 millions de travailleurs ?). Si cette règle était adoptée, plus de 24 millions de travailleurs à bas salaire bénéficieraient d’une augmentation salariale dont 2.201.939 en France (9% de la main d’œuvre totale). De façon assez contre intuitive, ce n’est pas toujours dans les pays les moins riches que se trouvent ces travailleurs (par exemple, en Allemagne, leur nombre est de 6.834.661, soit 18% en proportion de la main d’œuvre totale, au Luxembourg, le nombre est de 57552 soit 22%).
Actualisation au 6 décembre 2021
Aujourd'hui, le Conseil a adopté une position commune sur la proposition de la Commission européenne. Selon Janez Cigler Kralj, le ministre slovène du travail, de la famille, des affaires sociales et de l'égalité des chances : "Le travail doit être rétribué. Nous ne pouvons pas accepter que des personnes qui mettent toute leur énergie dans leur travail vivent encore dans la pauvreté et ne puissent avoir un niveau de vie décent. Cette loi sera un grand pas en avant vers la réalisation de cet objectif".
Le Conseil et le Parlement européen vont à présent négocier pour parvenir à se mettre d'accord sur un texte final.